« Le prix de la victoire »

L’éloge funèbre prononcé le 12 novembre 1918 pour le soldat Baptiste Ogheard est un extrait du « Livre d’or de la paroisse de Joze et Tissonières » (6 F 205), écrit par le curé de cette paroisse,  Adrien Adam (1867-1955). Prononcée le lendemain de l’Armistice, cette oraison évoque à la fois le deuil et la victoire, chèrement payée par les enfants de la paroisse.


6 F 205 (png - 1861 Ko)

Premier paragraphe de l’éloge funèbre prononcé le 12 novembre 1918 pour le soldat Baptiste Ogheard, Arch. dép. Puy-de-Dôme, 6 F 205


Le « Livre d’or » de l’abbé Adam est constitué de trois parties. Une première dresse la liste des Morts pour la France de la paroisse pendant la guerre de 1914-1918 (52 noms au total). La deuxième, la plus importante, est une compilation des allocutions prononcées en l’église Saint-Pierre de Joze par l’abbé Adam à l’occasion des services funèbres célébrés pour ces soldats. Enfin, dans la troisième partie, l’homme d’Église relève les noms des autres combattants de la paroisse ayant été mobilisés durant ce conflit. L’exemplaire du « Livre d’or » conservé aux Archives départementales est une version manuscrite constituée de 148 folios [1], destinée à être imprimée comme l’atteste l’imprimatur au folio 3 [2].

Les éloges funèbres s’étendent d’octobre 1914 à septembre 1919. Dès le 5 novembre 1914, l’abbé note que « les morts vont vite, en cette triste fin de saison, ensanglantée par la guerre, et pour la troisième fois, depuis quinze jours, les cloches de notre église, hier au soir, pleuraient et gémissaient sur le trépas d’un des enfants de la paroisse » (f. 15). Les deux derniers discours du « Livre d’or », datant respectivement des 26 octobre 1919 et 23 novembre 1919, ont été prononcés à l’occasion de l’inauguration du monument aux morts de Joze et de la fête des anciens combattants. Dans chacune de ces oraisons, l’abbé évoque la personnalité des défunts et les circonstances de leur décès, lorsque celles-ci sont connues. Si, au départ, il emploie les termes de « service funèbre »  entre guillemets pour désigner ces cérémonies, il finira, au fil du temps, par les qualifier d’ « éloge funèbre ». Il ne peut, en effet, être question de véritables services funèbres, en raison de l’absence des corps des victimes. L’interdiction des transports des corps des soldats morts dans les zones de conflit rend les cérémonies d’obsèques impossibles [3]. Un seul soldat, François Martignat, a pu bénéficier de véritables obsèques le 9 mai 1915, ce que l’abbé Adam a très clairement noté dans son « Livre d’or ». Le lieu de son décès, Saint-Étienne, a, en effet, permis à sa famille d’avoir « la suprême satisfaction refusée à tant d’autres, de pouvoir ramener sa dépouille mortelle dans la terre où repose la cendre des aïeux. » (f. 41). Le « Livre d’or », intéressant à bien des égards, apporte un éclairage sur la vie de la paroisse durant cette période, mais aussi sur le ressenti et le deuil des familles des soldats décédés durant le conflit. À de nombreuses reprises, l’abbé évoque le manque d’informations données aux familles des victimes ou des disparus, relayant ainsi leurs angoisses ou leurs incertitudes. À ce titre, comparer les dates des éloges avec les dates d’officialisation des décès (lorsque ces dernières sont mentionnées) se révèle instructif [4].

Sa mort a été annoncée par avis officiel le 2 septembre 1918. L’abbé Adam précise qu’il a été tué d’une balle dans le front. De cet homme mort à 37 ans, l’abbé dit peu de choses et son éloge funèbre est surtout l’occasion d’évoquer le village de Joze et de rendre hommage à ses « paysages familiers ». Ce n’est qu’à la fin de son allocution que l’homme d’Église évoque l’Armistice : « Et que Dieu soit loué d’avoir permis, dans sa miséricorde, que le sang de victimes aussi sympathiques ne fût pas répandu inutilement. Ce sang précieux a été la rançon de notre pays, le prix de la Victoire, de cette Victoire que nos cloches annonçaient à tous les échos, hier, au soir, aux 2es vêpres de la fête de St Martin, patron de la France, en cette journée historique du 11 novembre 1918. »

Le poids du deuil transparaît lourdement dans cette oraison. Après cette date, l’abbé aura l’occasion de prononcer encore six éloges funèbres jusqu’en septembre 1919. L’une des victimes, Jean Perrier, était décédée au début du conflit mais sa mort, comme dans de nombreux cas, ne fut officialisée que dans les mois et les années qui suivirent l’Armistice.


Pour en savoir plus

Voir l’exposition virtuelle « Les cimetières militaires de la Première Guerre mondiale en France » :

Présentation en ligne

et Consultez la version PDF des cimetieres militaires


[1] Seul le recto des folios est consacré au « Livre d’or ». Par ailleurs, l’exemplaire conservé aux Archives départementales du Puy-de-Dôme présente des lacunes  (notamment f. 53-81 ; 83 et 85).

[2] Un exemplaire imprimé est conservé à la Bibliothèque du Patrimoine de Clermont-Communauté sous la référence : A 33175.

[3] Voir l’exposition virtuelle sur « Les cimetières militaires de la Première Guerre mondiale en France » : Présentation en ligne

et Consultez la version PDF des cimetieres militaires

[4] Classe 1899, subdivision de Riom, n° 247, cote : R 3361.

 


Éloge funèbre prononcé le 12 novembre 1918 pour le soldat Baptiste Ogheard,

Arch. dép. Puy-de-Dôme, 6 F 205




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