Caricature de Louis-Philippe Ier : poussée révolutionnaire et chute d’un roi

Dossier réalisé, en 2020, par Frédéric Jarrousse et Corinne Dalle


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Le document que nous proposons peut être intégré dans le cours d’histoire de Première, thème 1 : L’Europe face aux révolutions et chapitre 2 : L’Europe entre restauration et révolution (1814-1848) dans lesquels on travaille les deux poussées révolutionnaires de 1830 et 1848 en France et en Europe. Il peut trouver aussi sa place dans le programme de 4ème , thème 3 : Société, culture et politique dans la France du XIXe siècle.

Ce document est intéressant dans l’enseignement optionnel d’arts plastiques, particulièrement en classe de Seconde et Première.

 



Présentation de l’œuvre


Il s’agit d’un document imprimé de 4 pages qui se décompose en deux parties étroitement liées, une gravure et une chanson, la première illustrant et annonçant la seconde. Le titre est Louis-Philippe et son chien. L’auteur est un certain « L. C. ». L’impression a sans doute été faite à Paris, chez l’auteur (« rue de la Harpe, 90 »). On peut estimer que le document a été produit entre l’abdication de Louis-Philippe Ier (24 février 1848) et sa mort en exil en Angleterre (26 août 1850).

Dans un contexte de railleries et de critiques très dures envers Louis Philippe et son gouvernement (particulièrement Guizot, présenté comme un véritable agent de l’Angleterre), accusé de traîtrise et de servir les puissances étrangères. Le chien du roi est d’ailleurs surnommé Guizot par les chansonniers de l’époque. Le chansonnier Alexis Dalès ridiculise le roi dans plusieurs chansons dont l’une s’intitule Louis Philippe et son chien.


Dossier préparatoire


Afin que les élèves comprennent bien le document, il est nécessaire, au préalable de donner aux élèves un petit dossier préparatoire. Il fait le point sur les personnages mentionnés, les lieux cités et sur quelques mots de vocabulaire.

Les hommes

BÉLISAIRE (vers 500-565) : général byzantin au service de l’empereur Justinien. La référence est à un tableau de Jacques-Louis David, de 1780, « Bélisaire demandant l’aumône ». Cette toile représente le général byzantin Bélisaire aveugle et en train de mendier. D’où, dans la chanson, le vers « tendant son casque à quelques petits sous ».

BUGEAUD, Thomas-Robert, (1784-1849) : ce militaire fait carrière sous le Premier Empire et les Cent-Jours. Il est rappelé par Louis-Philippe Ier qui le nomme maréchal de camp. Il réprime en 1834 une insurrection républicaine à Paris. Envoyé en Afrique du Nord (1836), il lutte contre Abd el-Kader en Algérie puis au Maroc (bataille d’Isly, 1844). Il devient Gouverneur général de l’Algérie (1840-1847).

GUIZOT, François (1787–1874) : homme d’État et historien. Fervent royaliste, il est  secrétaire général au ministère de la Justice sous le règne de Louis XVIII.  Louis-Philippe Ier le nomme successivement ministre de l’Intérieur (1830), de l’Instruction publique (1832-1837). Ambassadeur à Londres en 1840, il est aussi ministre des Affaires étrangères et président du Conseil. En 1848, au cours de la campagne des banquets, il interdit la manifestation du 22 février : cette décision provoque la révolution de 1848 et la fin de la monarchie de Juillet. Vu comme un agent à la solde des Anglais, il attire les critiques et accroît les suspicions envers les trahisons du régime (la non-ingérence en vue d’apporter une aide aux Polonais en particulier).

LOUIS-PHILIPPE Ier (1773-1850) : duc d’Orléans (1793-1850) et roi des Français (1830-1848).  Partisan de la Révolution française, il participe aux batailles de Valmy et de Jemappes. Mais il déserte en 1793, sans pour autant rallier les armées contre-révolutionnaires. Les Cent-Jours et la défiance de Louis XVIII face à ses idées libérales le poussent à partir pour l’Angleterre (1815-1817). La Révolution de 1830 l’amène au pouvoir : il apparaît à la bourgeoisie d'affaires libérale comme le seul homme capable d'éviter l'installation d'une République. Il est proclamé roi des Français. Son soutien à la politique conservatrice de Guizot et la condamnation de la campagne des banquets ont raison de son règne. De surcroît, il est souvent accusé de servir les étrangers et de trahir la France. Louis-Philippe doit fuir en Angleterre, où il meurt deux ans plus tard.

MONTALIVET, Marthe-Camille Bachasson (comte de, 1801-1880) : pair de France, ministre et sénateur. Défenseur des idées constitutionnelles, il est l’un des premiers à rallier la monarchie de juillet. Il remplace Guizot au ministère de l’Intérieur. Il a aussi temporairement en charge l’instruction publique et la liste civile.

VATOUT, Jean (1791- 1848), poète, député (1831-1840), premier bibliothécaire du roi, membre de l’Académie française. Il accompagna Louis-Philippe dans son exil en Angleterre où il mourut. Il a composé une chanson à calembour sur le « maire d’Eu ».

Les lieux

EU : domaine de Normandie dont Louis-Philippe Ier hérite à la mort de sa mère en 1821. Il restaure le château et en fait sa résidence estivale. Le site abrite aujourd’hui un musée Louis-Philippe.

NEUILLY : la famille d’Orléans prend possession du château de Neuilly-sur-Seine en 1818. Louis-Philippe agrandit les jardins et le château dont il fait sa résidence d’été. Le 25 février 1848, le château est pillé et en partie incendié par des émeutiers. Il ne subsiste que l’aile droite nommée « Pavillon de Madame Adélaïde ».

SAINT-CLOUD : situé à l’Ouest de Paris, ce domaine a été offert par Louis XIV à son frère unique, Philippe d’Orléans.  Il revient à Marie-Antoinette, femme de Louis XVI, puis il intègre la liste civile du Roi comme résidence d’été de la famille royale à partir de la Révolution.  Le château est détruit durant la guerre franco-prussienne.

Les expressions

Liste civile : somme allouée au chef de l'État pour subvenir aux dépenses et charges de sa fonction. Louis-Philippe bénéficiait ainsi d’une dotation annuelle

Être à quia : ne plus savoir que répondre, éprouver un grand embarras.


Pistes d’exploitation de l’œuvre


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Arch. dép. Puy-de-Dôme, 9 J 119

 

 

1)      La première page : titre et gravure.

L’image représente Louis-Philippe, tenant en laisse son chien dans une rue de Paris. L’ancien roi citoyen et son animal mendient ; l’un en tendant son chapeau, l’autre, une coupelle. La mine attristée de Louis-Philippe et son regard descendant accentuent sa situation de détresse. Le début de la chanson (« tout est perdu : nous sommes en déroute ») permet de contextualiser la scène. L’auteur, dès la gravure se moque du souverain déchu de trois manières différentes :

- la caricature du roi en elle-même et aussi le paradoxe : Louis-Philippe,  bien que vêtu comme un bourgeois et tenant sous son bras plusieurs sacs d’argent, mendie.

-  le titre, par le changement de taille des lettres, amène un second niveau d’ironie : le chien prend le dessus sur l’ancien roi.


 

2)      La structure de la chanson :

Le texte doit être chanté selon l’air des « trois couleurs ». Le premier couplet est évocateur : « Au bon plaisir, à la grâce divine / Va succéder, pour la leçon des Rois / Un droit plus vrai, tirant son origine / Des droits du peuple et restreint par les lois. / La charte en main, la France libre et fière / Pour l’avenir peut essuyer ses pleurs, / Le drapeau blanc roule dans la poussière, / Qui ternissait nos brillantes couleurs ». Il y a un décalage entre l’air des « trois couleurs » et ce qu’il exprime (une attente de libertés politiques) et la réalité du dessin (l’espoir de libertés politiques qu’incarnait Louis-Philippe est un espoir déçu).

La structure poétique de la chanson est composée de huitains (strophes de 8 vers). Les vers sont des décasyllabes. Les rimes sont croisées (ABAB). Quelques figures de style intéressantes peuvent faire l’objet d’une étude comme l'anaphore "Qui me rendra" par exemple.

Elle se compose de six couplets. Le refrain est « Passants, l’aumône (bis) au plus pauvre des rois ». La 4e page précise le plan de la chanson en donnant un titre à chacun des couplets : Pauvre tirelire ! ; Bugeaud et Guizot ! ; Ma Chère cassette ; Le Maire d’Eu ! ; Réforme ! Réforme ! ; Bélisaire et Louis-Philippe. Cette allusion à la cassette renvoie très probablement  à L'Avare de Molière : "Mon coffre-fort, cet ami précieux", "Qui me rendra ma chère tirelire" font écho au fameux monologue d'Harpagon.


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Arch. dép. Puy-de-Dôme, 9 J 119


 

3)      La chute de Louis-Philippe :

La chanson telle une élégie, fait se lamenter Louis-Philippe. On peut, par l’évocation de ses regrets et de ses plaintes, recréer le contexte amenant à sa chute.

a)  Louis-Philippe est décrit comme un roi-bourgeois (« mon fauteuil et mon trône), uniquement préoccupé par ses revenus. La chanson insiste sur sa vie d’aisance :

- fortune (répétition litanique du mot « tirelire », « mon coffre-fort, cet ami précieux »,  « mon beau million par mois »,

- palais (« dans mon palais… soupire ») et  domaines (« mon Neuilly, ses doux bois », Saint-Cloud),

- « cave » et « vin vieux ».

La cupidité du roi est telle qu’il aurait souhaité être maire de Saint-Cloud afin d’avoir « de traitement », « un petit bout ».

b) Louis-Philippe évoque les soutiens de son régime :

- « Bugeaud, Guizot répondaient de ma cause » à l’intérieur comme à l’extérieur du pays 

 - Montalivet qui avait en charge la liste civile (« Montalivet… par mois ») 

- enfin Vatout, reconnu seulement pour sa chanson-calembour (« le maire d’Eu ») et sa « lyre drolatique ».

c) Louis-Philippe évoque aussi les raisons de sa chute :

 - ses « ministres maladroits » ; Bugeaud et Guizot, « beaux répondants qui m’ont mis à Quia ».

- « La Réforme » assimilée à un « horrible vampire ! », est une allusion à la campagne des banquets, menée par l’opposition (70 dans toute la France entre 1847-1848). En raison de l’interdiction des réunions, on tenait des banquets au cours desquels on abordait notamment la question de la réforme visant à élargir le corps électoral. Le gouvernement de Guizot empêcha les opposants de poursuivre leurs banquets (22 février 1848), ce qui provoqua…

-  une révolution  les 22 et 23 février  1848 (« la main du peuple a brisé mon pavois » ;  « dans un seul jour il m’a mis aux abois »).


4) La presse et la caricature :

Ce document permet également d’aborder les thèmes de la liberté de la presse, de la censure et de la caricature politique. En effet, ce dessin s’inscrit dans le mouvement des caricaturistes du XIXe siècle. Soumis à une censure très dure sous Charles X, puis à nouveau à partir de 1835  (l’attentat de la machine infernale), les journaux, chansonniers et dessinateurs tentent d’affirmer le droit à la critique et d’affirmer la liberté de la presse. Pour lutter contre la censure royale, Philipon fonde La Caricature, journal d’opposition contre Louis Philippe qui emploie  les meilleures caricaturistes, dont Daumier. Une des caricatures les plus connues de ce dernier montre, en 1831, Louis-Philippe en Gargantua (avec ministres et élus) dévorant les écus récupérés de force au peuple affamé. En plus de La Caricature, Philipon crée Le Charivari où sont publiées les fameuses “ Têtes en poire ” de Louis-Philippe.

La caricature du roi rassemble les défauts attribués par les chansonniers de l’époque à la bourgeoisie. Il est gros, peureux, vil et cupide. C’est l’image de l’épicier tant raillé par les caricaturistes : ventru, gras ; une silhouette piriforme, le symbole du régime du « juste-milieu ». Ce dessin n’est pas sans rappeler les caricatures du début de la Révolution française montrant les membres du clergé comme des ventrus (cupides et affamant le peuple) que l’on devait « dégraisser ». 


En conclusion


Cette chanson tourne en ridicule Louis-Philippe, le roi-bourgeois déchu, en le présentant sous les traits d’un homme cupide, rentier aux frais de la patrie et obnubilé par sa « chère tirelire ». Au-delà de l’homme, c’est peut-être aussi la monarchie, considérée comme dépassée, qui est visée : « À ce métier, nous ne dérogeons guère / Rois, par État, vous mendiez presque tous ».




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