Correspondance de Jacques Bardoux

Si la correspondance de Jacques Bardoux (1874-1959) nous a paru mériter la plus large diffusion, c'est en grande partie parce qu'elle fut, à côté des contacts directs et des entretiens tête à tête, l'un des instruments privilégiés de l'influence exercée dans la vie politique française, et européenne, par cet homme politique, qui n'exerça cependant que peu de responsabilités de premier plan...

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L'éditeur des lettres de la reine Victoria était certes bien placé pour percevoir tout l'intérêt des correspondances pour l'historien. Aux lettres qu'il recevait et conservait soigneusement, vinrent s'adjoindre après 1919 les doubles des lettres qu'il écrivait, dactylographiées en raison de son écriture difficilement déchiffrable. Leur classement a permis d'identifier, de façon plus ou moins précise, plus de 1500 correspondants ; si pour 700 d'entre eux il n'est conservé qu'une lettre, plus de 100 sont représentés par plus de 10 lettres (trois d'entre eux, par plus de 100 lettres).

 

Après de solides études secondaires à Paris, au lycée Condorcet, où il prépara sans succès le concours de l'Ecole normale supérieure, Jacques Bardoux passa en 1895 une licence ès lettres, qu'il prolongea en 1895-1896 par un séjour à Oxford, et compléta en 1899 par une licence de droit. Il soutint en 1901 année une thèse de lettres sur « Le Mouvement idéaliste et social dans la littérature anglaise au XIXe siècle ».

 

Son passage au barreau de Paris n'a pas laissé beaucoup de traces dans ses archives. Son intérêt le portait davantage vers les questions sociales et politiques. Libéral comme son père, son souci de justice sociale l'amène à s'intéresser à l'économie sociale et au mouvement coopératif ; il participe aux travaux de plusieurs sociétés ou associations (notamment la Société Franklin et le Musée social), et, désireux de ne pas en rester aux spéculations intellectuelles, mais de passer à l'action, il est l'un des principaux créateurs de la Fondation universitaire de Belleville (1898), dont il assumera la responsabilité comme secrétaire général pendant les premiers mois. Ayant conservé dans le monde politique bon nombre des relations de son père, il en élargit le cercle en entrant dans l'intimité de Georges Picot, secrétaire perpétuel de l'Académie des sciences morales et politiques, dont il épousa une fille, Geneviève, en 1899. Sa connaissance de la vie politique de l'Angleterre contemporaine, et notamment de sa politique étrangère, acquise dans la préparation d'études historiques (« Essai d'une psychologie de l'Angleterre contemporaine », 3 volumes, 1906-1913), « La Reine Victoria d'après sa correspondance inédite », 3 vol., 1907), lui permet de devenir le collaborateur régulier de plusieurs journaux ou revues, français et britanniques surtout (Le Journal des débats, L'Opinion, The Speaker, The National Review), et de prendre place dans les associations et groupements politiques, sans a priori (il adhère par exemple un temps à la Ligue des droits de l'homme). Il manifeste alors déjà un intérêt prononcé pour les questions constitutionnelles, et on le voit en relations aussi bien avec « l'Union pour l'action morale » de Paul Desjardins qu'avec la « Ligue d'union républicaine pour la réforme électorale » ou la « Ligue de défense française ». Sa compétence reconnue lui vaut d'être chargé, à partir de 1908, d'un cours d'histoire diplomatique à l'Ecole libre des sciences politiques, et, en juin 1913, chargé de mission par le président Poincaré au moment de son voyage à Londres. A la déclaration de guerre, en août 1914, bien que réformé, il s'engage volontairement ; après quelques mois au front comme sergent, il est nommé lieutenant et affecté à la Mission française auprès de l'armée britannique ; de novembre 1918 à mars 1919, il assume les fonctions de chef de cabinet du maréchal Foch.

 

A partir de 1919, Jacques Bardoux mène en parallèle trois carrières.

 

Comme professeur, à son enseignement à l'Ecole libre des sciences politiques vient s'ajouter à partir de 1919, un enseignement analogue à l'Ecole de guerre : il participe désormais à la formation aussi bien de la classe politique que des états-majors. Comme historien et essayiste, les livres qu'il publie entre les deux guerres reprennent la matière de ses cours d'histoire des relations internationales, et celle de ses articles de politique intérieure et de politique internationale. La notoriété qu'il acquit dans ces deux domaines lui permit d'entrer en janvier 1925 à l'Académie des sciences morales et politiques (section de morale et sociologie) où avaient déjà siégé son père et qu'avait présidée son beau-père, et où il rejoignait nombre des ses relations et amis.

 

Comme homme politique, il participe activement, dès 1919, aux travaux des cercles politiques libéraux, parfois proches des milieux d'affaires, qui souhaitent une réorganisation en profondeur de la Troisième République, ou encore un développement pacifique des relations internationales, et notamment un apaisement des rivalités coloniales (Parti républicain démocratique et social, Association nationale pour l'organisation de la démocratie, IVe République. Parti républicain de réorganisation nationale, Association française de la Sarre, Société d'études et d'informations économiques, Fédération républicaine de France, Le Redressement français, Comité technique pour la réforme de l'Etat, Académie des sciences coloniales). Son libéralisme l'amena à prendre position très tôt contre le pangermanisme puis le nazisme, puis, surtout à partir de 1936, contre le communisme. Dans le Puy-de-Dôme, il crée en 1924 le Parti républicain fédéral du Puy-de-Dôme, pour essayer de regrouper, en vue des élections, les diverses tendances et personnalités du mouvement républicain libéral ou modéré, et contrebalancer l'action de la Fédération radicale et radicale-socialiste du Puy-de-Dôme, qui fédérait les gauches. En 1932, il organise un regroupement analogue des départements du Massif Central au sein d'une Fédération républicaine et sociale du Massif Central, qui ne disparaîtra qu'au milieu des années 1950, avec la création des Républicains indépendants. A la différence de son père, il n'eut jamais de mandats locaux ; il dut essuyer plusieurs échecs aux élections législatives ou sénatoriales, avant d'entrer, en 1937, au Sénat où il participe activement aux travaux des commissions des colonies, des affaires étrangères et de l'enseignement.

 

Ponctuellement, le gouvernement fit appel à ses services pour des missions diplomatiques officieuses (notamment du fait de ses contacts en Grande-Bretagne) ou officielles (délégué adjoint à la SDN pour les questions de coopération intellectuelle) ; aussi bien Raymond Poincaré que Gaston Doumergue semblent avoir accueilli avec intérêt ses conseils. Le10 juillet 1940, il vota les pleins pouvoirs à Pétain, et fort des ses liens avec plusieurs ministres de l'Etat français (dont Joseph Barthélemy), il accepta de siéger au Conseil national, où, présidant le Comité de rédaction des lois constitutionnelles, il s'efforça des faire adopter les textes qu'il avait préparés, dès 1934-1935, au sein du Comité technique pour la réforme de l'Etat, et qui avaient été publiés en 1936 sous le titre « La France de demain : son gouvernement, ses assemblées, sa justice ». La prolongation du régime d'exception mis en place en juillet 1940, l'engagement du régime dans la collaboration avec l'occupant, et finalement la suspension de l'activité du Sénat par Laval, l'amenèrent à suspendre sa participation à la fin de 1941. Désormais opposant déterminé au gouvernement de Vichy, pour des raisons politiques et juridiques, et craignant d'être mis en arrestation, il se réfugia à Paris à la fin de septembre 1943. Là, avec quelques autres sénateurs regroupés autour de René Coty, il travailla à préparer la réorganisation institutionnelle qui devrait accompagner la libération du territoire national (le récit de ces travaux est consigné dans son livre « La délivrance de Paris. Séances secrètes et négociations clandestines, octobre 1943 - octobre 1944, journal d'un sénateur » paru en 1958. Son appartenance à ce groupe des « sénateurs résistants » lui permit d'être relevé par un jury d'honneur de l'indignité nationale que lui valait sa participation au vote du 10 juillet 1940. Elu député à l'assemblée constituante, il conserva son siège de député jusqu'en 1956 ; élu président de la commission des affaires étrangères en février 1952, il en fut écarté par le MRP en janvier 1953, en raison notamment de son opposition au traité de Paris. En 1956, il ne se représenta pas aux élections législatives.

 

Après 1944, si son mandat de député lui laissa peu de temps à consacrer à la rédaction d'articles pour les journaux, il mena à bien la rédaction d'une histoire des relations internationales sous la Troisième République, parue en trois volumes de 1948 à 1953, et entreprit la mise en forme du journal dont il avait entrepris la rédaction à la veille de la Seconde guerre mondiale, et dont deux volumes furent édités, couvrant les périodes du 1er septembre 1939 au 15 juillet 1940 et d'octobre 1943 à octobre 1944.

 

Il mourut le 15 août 1959, sans avoir pu, malgré plusieurs tentatives, être élu à l'Académie française.

 

Chaque étape de cette longue carrière apporta son lot de nouveaux correspondants : aux camarades du lycée Condorcet et de la faculté de droit de Paris (André Siegfried, André Tardieu, Albert Rivaud, le lyonnais Joseph Aynard …) vinrent ainsi successivement se joindre les amitiés de l'université d'Oxford (Leopold Stennett Amery, Stanley Baldwyn, John Simon…), puis les collègues ou disciples de la Fondation universitaire de Belleville (Jean de Schlumberger, Henri Bergson, Henri Bourrillon alias Pierre Hamp, …). Viennent ensuite les relations du journalisme, celles des tranchées et les chefs servis ou croisés dans les états-majors de la première Guerre mondiale (Foch, Weygand, Lyautey, Gouraud …) ; son mariage avec la fille de Georges Picot le mit en relation avec les cercles de l'Académie des sciences morales et politiques, avant qu'il y entre lui-même, et ceux de l'Académie française (Jacques Chastenet, Léon Bérard, et avec le monde de la diplomatie où servaient plusieurs de ses beaux-frères (Jean Corbin, Jules Cambon, François Charles-Roux, Raoul Dandurand,…) et plusieurs ministres européens (britanniques notamment, mais aussi Edouard Bénès, …) ; il est en relations avec tous les groupes de réflexion politique de la droite libérale ou du centre, notamment ceux qui réfléchissent à une réforme des institutions de la IIIe République (Paul Desjardins, Joseph Barthélemy, Ernest Mercier, …) et des milieux coloniaux (Emile Baillaud, un ami d'enfance, Paul Bourdarie, Henri Brénier, …) ; fondateur de la Fédération républicaine et sociale du Massif Central (1932), avant de devenir sénateur en 1937 puis député de 1944 à 1956 (après avoir siégé à Vichy au Conseil national), il était en relations suivies avec l'ensemble de la classe politique française, à l'exclusion de la gauche socialiste (Raymond Poincaré, Frédéric François-Marsal, André François-Poncet, Jules Jeanneney, Vincent Auriol, Paul Deschanel La correspondance de Jacques Bardoux intéressera donc aussi bien les historiens du mouvement des idées politiques, et notamment du courant libéral , que ceux de la politique française et des relations internationales au XXe siècle.

 

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