Dom Pernety : des tableaux pour l’abbaye Saint-Alyre

En 1755, l’abbaye bénédictine de Saint-Alyre, aux portes de la ville de Clermont, était en chantier depuis plusieurs années, et, en même temps que les bâtiments monastiques étaient profondément remaniés, l’on se préoccupait de rénover le mobilier et de le mettre au goût du jour.


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Façade et élévation du bâtiment qui est à l’orient (…) (XVIIIe s.), Arch. dép. Puy-de-Dôme, fonds de Saint-Alyre de Clermont, 27 Fi 89


L’abbé, dom Lefèvre, se préoccupa aussi de procurer à son abbaye des tableaux ; il eut pour cela recours aux services de son confrère bénédictin de la congrégation de Saint-Maur, dom Antoine Joseph Pernety (1716-1796), alors religieux de l’abbaye de Saint-Germain-des-Prés à Paris.

Cet épisode nous est connu par une lettre de dom Pernety, datée du 18 décembre 1755, annonçant à son confrère Clermontois l’envoi d’une caisse de tableaux.


Les tableaux envoyés à Saint-Alyre


     

Lettre de dom Pernety à dom Lefèvre, abbé de Saint-Alyre (1755) – Arch. dép. Puy-de-Dôme, 1 H 250


Le premier et le meilleur est du plus grand peintre qui ait peut-être paru, c’est-à-dire de Rubens. Bien des gens le mettent au moins au niveau avec Raphael. Le tableau est La Guérison de l’hemorroisse dans un paysage. Je l’ai eu par hazard d’un homme qui ne le connoissoit pas. D’ailleurs, le fond du paysage étoit gâté, et je l’ai refait moi-même, car on m’auroit demandé plus de deux louïs pour cela. Il ne vous revient par ce moyen qu’à 26 lt. 6 s. 0 d.

Le second est italien, mais je ne sçai de quel peintre. C’est Le Serviteur d’Abraham, et il est très beau. 24 lt. 10 s. 0 d.

Le 3me est une sainte Thérèse et st Guillaume, original de Vignon, peintre françois ; il est peint avec beaucoup de force et de franchise. 24 lt. 8 s. 0 d.

Le 4me est une Fuite en Egypte ; original fait au premier coup, mais très bien frappé ; le paysage est beau.  15 lt. 6 s. 0 d.

Les 5 autres pour votre chambre commune sont un saint Sébastien, original italien, magnifique ; il vaut au moins les précedens.   13 lt. 8 s. 0 d.

Une Vierge, de Blanchard, qu’on appelle le Guide françois.   10 lt. 6 s. 0 d.

Une Adoration des mages. Les figures sont du Franc, peintre flammand, et les fleurs d’un autre flamand nommé Breugle de Velours.  15 lt. 10 s. 0 d.[Il s’agit sans doute du flamand Frans Francken (Anvers, 1581-1642)].

Une Visitation sur toile, d’Italie.  15 lt. 8 s. 0 d.

Un Baptême de J[ésus]-C[hrist]. Les petites figures du coté droits sont parfaites. Il est françois, de l’école de La Fosse qui y a touché.  12 lt. 4 s. 0 d. » [Il s’agit ici du peintre Charles de La Fosse (Paris, 1636-1716)]


Tous ces tableaux semblent avoir disparu, sans doute suite à la confiscation des biens du clergé décrétés biens nationaux en 1790. Si le Musée d’Art Roger-Quilliot de Clermont-Ferrand possède bien une Vierge à l’Enfant du peintre Jacques Blanchard : www.pop.culture.gouv.fr/joconde, il s’agit d’un tableau acheté en 1983 qui peut difficilement être celui de Saint-Alyre.


L’auteur de la lettre


Que l’abbé de Saint-Alyre ait eu recours aux services de dom Pernety, alors moine de l’abbaye mauriste Saint-Germain-des-Prés, n’a rien de surprenant. Né à Roanne (Loire) en 1716, Antoine Joseph Pernety semble bien avoir fait profession en 1732 à l’abbaye de Saint-Alyre ; transféré depuis 1747 à l’abbaye parisienne, il était alors réputé dans sa congrégation pour ses connaissances dans le domaine de la peinture : il préparait un Dictionnaire portatif de peinture, sculpture et gravure avec un traité pratique des différentes manières de peindre (...), qui fut publié en 1757. Moine d’une grande érudition, qui peut sembler avoir été parfois un peu désordonnée, il fut quelques années plus tard l’aumônier de l’expédition de Bougainville aux îles Malouines (1762-1763), pendant laquelle il put développer ses connaissances de naturaliste.

Peu après son retour, peut-être dépité par l’échec d’une tentative de réforme de la congrégation de Saint-Maur à laquelle il avait activement participé, il abandonna la vie monastique, et fut à Avignon (alors des domaines pontificaux) l’un des fondateurs de la loge maçonnique des Sectateurs de la Vérité. Puis, exilé à Berlin pour éviter les poursuites de la justice pontificale, il y fut le bibliothécaire du roi de Prusse Frédéric II ; là, séduit par les doctrines mystiques du suédois Emmanuel Swedenborg, il fut l’un des fondateurs du groupe des « Illuminés de Berlin », raison pour laquelle Frédéric II le renvoya. Revenu à Avignon, il fut accueilli par un marquis dont la maison, rebaptisée « Temple du Mont Thabor », devint le lieu de réunion des Illuminés, réunions auxquelles la Révolution mit un terme.

Il mourut à Avignon en 1796.

 

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Dom Pernety : des tableaux pour l’abbaye Saint-Alyre

Arch. dép. Puy-de-Dôme, fonds de Saint-Alyre de Clermont, 27 Fi 89 et 1 H 250.




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