Germaine Tillion

Une déposition de Germaine Tillion, datée du 8 septembre 1949, évoque les crimes de guerre commis pendant la Seconde Guerre mondiale dans le camp de Ravensbrück en Allemagne.


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Déposition de Germaine Tillion, 8 septembre 1949. Arch. dép. Puy-de-Dôme, 908 W 469.

Cette déposition, très documentée, provient du fonds du service de Recherche des Crimes de Guerre ennemis (cote : 908 W 469) [1]. Entendue dans le cadre de la juridiction française du procès « de Ravensbrück », Germaine Tillion évoque l’organisation du camp et insiste sur les rôles de Fritz Suhren, son commandant, et d’Hans Pflaum, membre du personnel, qui seront tous les deux condamnés à mort en mars 1950 lors du procès de Rastatt.

 

L’ethnologue Germaine Tillion, née le 30 mai 1909 à Allègre (Haute-Loire), est entrée dans la Résistance en 1940. Arrêtée le 13 octobre 1942 à Paris à la suite d’une trahison, elle est détenue à la prison de la Santé, puis à Fresnes, avant d’être déportée au camp de Ravensbrück le 31 octobre 1943. À cette période, Ravensbrück est un camp de travail essentiellement occupé par des femmes. À ce sujet, Germaine Tillion précise : « Je compris donc dès le début de 1944 que dans le système allemand des camps de concentration, les camps dits de travail, comme Ravenbrück, et les camps dits d’extermination étaient en réalité solidaires et complémentaires, que leur seule différence était une différence de rythme dans l’extermination. »

 

Très tôt, Germaine Tillion commence à réunir des renseignements sur l’organisation du camp et les crimes commis à Ravensbrück, afin de sauver ou d’aider les déportées et de multiplier les preuves, dans l’éventualité d’un procès. Elle utilise des acrostiches pour coder ces notes [2]. Lorsqu’elle quitte Ravensbrück le 23 avril 1945, libérée par la Croix-Rouge suédoise, elle relève le numéro le plus élevé enregistré au camp qui correspond au nombre de prisonnières : 123 000. Sur ces dernières, Germaine Tillion évalue à 12 000 le nombre de françaises, dont seules 3 000 seraient revenues du camp. 

 

Dans sa déposition, Germaine Tillion explique les causes de ces milliers de morts survenues dans le camp en les classant en quatre catégories :

« - l’extermination proprement dite par assassinat délibéré : poison, révolver, ou arme à feu, et chambre à gaz ».  Germaine Tillion note que les assassinats ont débuté en janvier 1945. Leur ampleur et leur fréquence augmentent dans les mois suivants, avec une moyenne d’environ 180 assassinats par jour, causant entre 3 660 et 6 000 victimes. Sa propre mère, Émilie Tillion, meurt à Ravensbrück le 2 mars 1945, victime d’un assassinat collectif par gaz toxique.

 

« - les transports « noirs » c’est-à-dire le choix de femmes qui devaient être exterminées dans un autre camp pour y servir de sujets de vivissection ». L’extermination ayant débuté à Ravensbrück en 1945, les femmes étaient antérieurement envoyées vers d’autres camps. Germaine Tillion donne le détail des différents convois qu’elle a pu lister.

 

« - la faim combinée avec l’excès de travail. » La résistante aborde les conditions de vie dans le camp. Revenant sur les vols de nourriture pratiqués par les S.S. sur les rations des déportées, elle insiste sur le fait que ces vols « n’ont jamais été gênés le moins du monde par la direction du camp. Je signale ce fait parce que les accusés se réfèrent généralement à des ordres reçus pour justifier leurs cruautés, et je tiens à signaler que cet esprit de discipline n’était jamais ambivalent mais s’exerçait exclusivement dans le sens de la cruauté. (…) La sous-alimentation mortelle du camp était bien un acte délibéré et non le résultat d’une nécessité. »

 

Enfin, Germaine Tillion évoque : « - l’entassement, la terreur et l’usure nerveuse effroyable qui en étaient les conséquences. Par comparaison, la mortalité due au froid et au manque d’hygiène apparaissent comme faibles. » Pour elle, cette dernière catégorie serait celle ayant entraîné le plus grand nombre de décès.

 

Abordant la question de l’autonomie du camp et la liberté laissée à son commandant Suhren, Germaine Tillion évoque un épisode d’inspection au cours duquel Geneviève De Gaulle-Anthonioz avait été examinée : « On se souvient que c’est après cette date que le rythme d’extermination des malades a été intensifié. Il est très possible, sinon probable, que cette intensification des assassinats a été décidée par Fritz Suhren, seul, afin de dissimuler l’état sanitaire épouvantable du camp. » Au cours de sa déposition, Germaine Tillion revient aussi sur le rôle d’Hans Pflaum et sur sa brutalité.

 

Enfin, son témoignage se termine sur le cas de Polonaises ayant subi des prélèvements osseux pour les expériences du docteur Karl Gerhardt. Elle rapporte alors comment elle a conservé « jour et nuit pendant plusieurs mois » une bobine photographique réalisée par les femmes du camp qui avaient réussi à voler un appareil photographique et à réaliser des clichés. Deux de ces photographies sont visibles sur le site du Musée de la Résistance en ligne.

 

La déposition montre le rôle essentiel tenu par Germaine Tillion dans l’enregistrement méthodique des faits et des événements de la vie du camp de Ravenbrück, qu’elle développera dans un ouvrage éponyme [3]. Elle sera aussi déléguée comme observateur par l’ADIR (Association des Déportées et Internées de la Résistance) au procès de Ravensbrück  tenu sous juridiction britannique à Hambourg en 1946-47. Peu avant le procès, les accusés Suhren et Pfkaum avaient réussi à s’enfuir ; arrêtés de nouveau en 1949, ils seront condamnés à Rastatt et exécutés le 12 juin 1950.

 


[1] Ce texte a fait l’objet d’une publication dans un recueil de textes de Germaine Tillion réunis et présentés par Tzvetan Todorov en 2001. Celui-ci précise que ce texte était inédit.

Germaine Tillion, À la recherche du vrai et du juste. À propos rompus avec le siècle, textes réunis et présentés par Tzvetan Todorov, Paris, Seuil, 2001.

[2] Elle utilise des recettes de cuisine en acrostiche pour noter les noms des responsables nazis. (Musée de la Résistance en ligne).

Voir également :

Cécile Vast, « Les procès de Ravensbrück : justice, témoignage ou connaissance ? », Les armes de l'esprit. Germaine Tillion (1939-1954), Musée de la Résistance et de la Déportation – Citadelle de Besançon, 2015, HAL.archives ouvertes

[3] La première version est publiée dès 1946, elle sera ensuite complétée en 1973 et 1988.

 



Déposition de Germaine Tillion, fonds du service de Recherche des Crimes de guerre ennemis, 8 septembre 1949.

Arch. dép. Puy-de-Dôme, 908 W 469


Pour en savoir plus :

 

Germaine Tillion, Ravenbrück, Paris, Seuil, 1973, et 1988.

Germaine Tillion, Fragments de vie, textes rassemblés et réunis par Tzvetan Todorov, Paris, Seuil, 2009. 

Germaine Tillion, À la recherche du vrai et du juste. À propos rompus avec le siècle, textes réunis et présentés par Tzvetan Todorov, Paris, Seuil, 2001.

Germaine Tillion [en ligne] [Consulté le 05/12/2017] Disponible sur www.germaine-tillion.org/a la rencontre de germaine tillion


Musée de la Résistance en ligne 1940-1945
 |en ligne] [Consulté le 05/12/2017]. Disponible sur Musée de la resistance en ligne.org

Voir notamment :

Musée de la resistance en ligne.org/Photographies prises clandestinement par les Polonaises

Musée de la resistance en ligne.org/expo


Camille Lacoste-Dujardin, « Une ethnologue à Ravensbrück, ou l’apport de la méthode dans le premier Ravensbrück de Germaine Tillion (1946) », Histoire@Politique. Politique, culture, société, N°5, mai-août 2008 [en ligne] [Consulté le 05/12/2017]. Disponible sur : Histoire-politique.fr

 

« Un exemple de résistance dans le camp de Ravensbrück : le cas des Polonaises victimes d’expériences pseudo-médicales, 1942-1945. Témoignage et analyse de Joanna Penson et Anise Postel-Vinay », Histoire@Politique. Politique, culture, société, N°5, mai-août 2008 [en ligne] [Consulté le 05/12/2017]. Disponible sur : Histoire-politique.fr

 

Cécile Vast, « Les procès de Ravensbrück : justice, témoignage ou connaissance ? », Les armes de l'esprit. Germaine Tillion (1939-1954), Musée de la Résistance et de la Déportation – Citadelle de Besançon, 2015, [en ligne] [Consulté le 05/12/2017]. Disponible sur : HAL.archives ouvertes




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