Hôpitaux et maladreries au Moyen Âge et à l’époque moderne

une organisation de santé entre charité, prévention et soins


1 /Les léproseries

Si l'on ne peut guérir les gens de la lèpre, il faut protéger les personnes saines. La place des ladres dans la société est ambiguë : l’assistance aux malades est indissociable de la charité chrétienne, mais la peur qu’inspirent les ladres les exclut des villes et de leur place au sein de la communauté. Ainsi, les lépreux n'ont le droit de fréquenter ni les autres personnes, ni les lieux susceptibles d'accueillir la foule (marchés, églises), ni d'entrer en contact avec les aliments (fours, fontaines, rivières). Ils doivent porter des signes visibles et surtout sonores avertissant qu’ils sont porteurs de la maladie (crécelle ou cliquette, tonnelet ou baril servant à faire l'aumône bien distinct du verre, unique récipient dans lequel ils le droit de boire).


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Sentence de la Purge contre Guillaume Cistrier, de Flat, déclaré lépreux et condamné à porter des signes distinctifs et à être écarté de la fréquentation des gens sains. 28 août 1520. Arch. dép. Puy-de-Dôme, E-dépôt 113 II FF 64 (pièce 10)


[…] Sur quoi a été par nous ordonné, lesdites parties ouies, que ledit Cistrier serait visité et palpé et pour ce faire nous avons fait venir maîtres Pierre Ruhomme, Jehan Bort et Vincent Malgrat, maîtres barbiers et chirurgiens. Lesquels étant venus par devant nous, nous avons enquis ledit Cistrier s'il voulait autres personnages pour le visiter et palper, qui a répondu qu'il n'en voulait point d'autres. Par quoi nous avons fait jurer lesdits Ruhomme, Bort et Malgrat et chacun d'eux sur les saints évangiles de Notre Seigneur, manuellement touchés, de bien, justement et loyalement visiter et palper ledit Cistrier et nous faire bon et loyal rapport de ce que par eux serait trouvé, qui ainsi l'ont promis et juré. Et ladite visitation et palpation faite, ils nous ont dit et rapporté, par leurs dits serments, avoir trouvé que icelui Cistrier était totalement ladre et atteint de ladite maladie de lèpre. Par quoi ledit rapport oui et que ledit Cistrier a dit ne vouloir dire aucune chose sur le rapport desdits barbiers, nous avons icelui Cistrier déclaré et nous le déclarons être atteint et convaincu et entaché de ladite maladie de lèpre. Aussi nous lui avons inhibé et défendu, nous lui inhibons et défendons, de par le roi notre dit seigneur, d'ores en après (désormais) de ne fréquenter ni converser les lieux publics et fréquentation des sains et non entachés de ladite maladie de lèpre. Et néanmoins nous lui avons enjoint et commandé, de par ledit seigneur, qu'il ait dorénavant à porter clicquetes, baril et anaps pour boire et lui est défendu, à peine d'amande arbitraire et de prison, de ne boire aucunement à son dit baril ne à autre. Semblablement lui avons enjoint et commandé qu'il serait à séparer et mettre en lieu séparé dans huit jours prochains venant. […].


Déclarés « entachés de lèpre » par le tribunal de la Purge, les ladres doivent résider dans une maladrerie ou léproserie. Sur le territoire de l’actuel département du Puy-de-Dôme, les léproseries d’Herbet, Durtol, Clermont ou Enval sont destinées à les accueillir. L’objectif de ces établissements est de les isoler pour empêcher que la maladie ne se propage, et de tenter quelques soins. Les lépreux inspirent la crainte : soupçonnés d’empoisonner les fontaines publiques, on se méfie d’eux, particulièrement après le XIVe siècle.

L’implantation d’une léproserie prend en compte plusieurs facteurs obéit à plusieurs conditions : l’exposition au vent, la présence d’un cours d’eau, les chemins de passage, mais aussi l’éloignement de la cité la plus proche. On préfère le sud-est des lieux habités afin de ne pas être placées sous les vents dominants (d’ouest et de nord) ; la proximité d’une rivière ou d’une fontaine, indispensable pour leurs besoins quotidiens. Le positionnement d’une voie de circulation est important car elle permet aux malades de faire la charité des passants. Autre point crucial, la léproserie doit être éloignée de la ville dont elle dépend pour réduire les risques de contagion, tout en en étant suffisamment proche  pour que le malade s’y rende, en particulier pour aller demander l’aumône, son seul moyen de subsistance.

Les travaux de Johan Picot, en particulier sur la maladrerie d’Herbet, montrent que beaucoup de ces établissements obéissent à ces critères. Ainsi, la léproserie de Montferrand respecte l’orientation sud-est, la localisation à l’intersection de deux routes importantes, la présence d’une fontaine alimentée par la Tiretaine.

Ces établissements, dotés de jardins, cimetières et églises, recréent ainsi une micro société, et perdurent jusqu'au XVIIe siècle.


2/ Une mise en place progressive des services de santé

Les dates de créations d'hôpitaux dans le Puy-de-Dôme demeurent incertaines. Les établissements les plus anciens remontent au VIIe siècle. La fondation du premier hôpital clermontois par l’évêque saint Genès date de 656.

Des documents attestent de l'existence d'hôpitaux à Clermont-Ferrand à partir du XIIIe siècle, ainsi que dans les villes avoisinantes ou encore les lieux de passage. Les lettres d’union données par Guy, évêque de Clermont, de la chapelle et hôpital de la Mort Raynaud et de tous ses revenus à l’hôpital de Clermont en août 1266 témoignent ainsi de la présence d’hôpital à Clermont et au lieu de la Moreno, grande voie de circulation (3 G arm 5, sac a)

Au Moyen Âge et à l'époque moderne une multitude d'hospices cohabitent. La dimension médicale existe, mais le principal objectif est de fournir des secours aux pauvres. L'aspect charitable est en effet privilégié. La plupart de ces établissements sont fondés et fonctionnent grâce aux legs et aux donations de personnes aisées. On accueille pauvres et malades et on leur offre le gîte, le couvert et des soins.

La pauvreté qui s'étend dans les villes a pour conséquence le développement de nombreux hôpitaux. L'Église s'occupe des plus pauvres mais, progressivement, les municipalités prennent le relais en finançant les établissements, en établissant des contrats avec les personnes chargées de gérer l'hospice.


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Extraits du contrat passé avec Genès Pradier, blanchisseur, et Phelipe Bastete, son épouse, pour l'entretien de l'hôpital des pauvres de Montferrand, contrat contenant un inventaire des meubles. 29 août 1543. Arch. dép. Puy-de-Dôme, E-dépôt 113 II

[…] Lesdits Malesaigne et Mariol présents, et tant pour eux que pour les autres consuls et pour la communauté de ladite ville, acceptant, stipulant et baillant aux dits Pradier et sa dite femme ladite charge.

C'est à savoir de bien, loyalement, soigneusement et diligemment entretenir et garder l'hôpital destiné pour les pauvres de Dieu appartenant à ladite ville, y recueillir et recevoir bénignement et doucement, sous la permission et autorité desdits consuls, les pauvres tant viateurs (voyageurs) et pèlerins que malades, orphelins de ladite ville et autres qu'il plaira aux dits consuls et à ladite ville y être reçus ; de servir doucement et traitablement (doucement) les malades qui sont et seront en icelui, sans user envers eux ni autres pauvres pèlerins et viateurs d'austérité et condélité (complaisance), mais leur être doux, traitables (doux) et cordiaux ; d'être prompts et soigneux à leur faire administrer les saints sacrements toutes les fois et quand il sera besoin, de jour et de nuit.

[Quant aux] aumônes qui leur seront baillées pour lesdits pauvres, de leur distribuer sans y commettre dol ni fraude ; de faire les lits journellement et iceux, ensemble ledit hôpital, entretenir nettement ; de ne recevoir et loger audit hôpital personnes mal vivantes, joueurs, larrons, blasphémateurs, homicides ni autres manières de gens mal vivants. […]

De ne pas abandonner ledit hôpital et les malades pour quelque maladie qu'il advienne et généralement de se régir et comporter audit hôpital tout ainsi que bons pères de famille sont tenus et doivent faire.

[…]

Et a été baillé auxdits Genèz Pradier et Phelipe Bastete sa femme le meuble qui s'ensuit : premièrement une bassine tenant environ six pots

Plus un peyrol (chaudron) tenant environ sept pots qui est pertuisé (troué, percé)

Une poêle de fer ou d'acier à frire

Une crémaillère de peu de valeur

Un chauffe lit

Un grand pot de fer tenant un pot demie ou entour […].


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Arch. dép du Puy-de-Dôme, 1 C 1046

 

 

 

 

Dans la deuxième moitié du XVIe siècle, le pouvoir royal exerce un droit de contrôle sur l'ensemble des hôpitaux. Cette préoccupation est à mettre en relation avec le développement de la pauvreté et le danger qu'elle représente pour la société. En effet, l'image du pauvre se dégrade, et, au XVIIe siècle, on ne voit plus en lui qu'un individu paresseux, fauteur de troubles et dangereux. L'État durcit sa politique et décide l'enfermement des pauvres. Pour cela, en 1656, il crée par un édit royal l'Hôpital Général de Paris destiné à enfermer " les pauvres, mendiants valides et malades… pour être employés aux ouvrages, manufactures et autres travaux. ". C’est sur ce modèle que s’implantent dans tout le royaume des hôpitaux généraux, dont celui de Clermont, en 1657-1658.


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Arch. dép. Puy-de-Dôme, 1 C 1083

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Arch. dép. Puy-de-Dôme, 1 C 1083


Parallèlement, une fusion s'opère entre les différents hôpitaux. En 1538, dans la cité clermontoise, les hôpitaux Saint-Priest, Saint-Esprit, Saint-Adjutor sont réunis. Un siècle plus tard, le roi ordonne la fermeture des maladreries.



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Lettres patentes du roi pour l'organisation de l'Hôtel-Dieu de la ville de Clermont. 1725. Arch. dép. Puy-de-Dôme, 1 C 952

 

 

 

Le début du XVIIIe siècle est marqué par une forte médicalisation de l’institution hospitalière.  L’hôtel-Dieu Saint-Barthélemy (créé en 1566 par l’évêque Guillaume Duprat) accorde un rôle central au collège des médecins de Clermont-Ferrand L'Hôtel-Dieu est édifié à son emplacement actuel entre 1767 et 1773.



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Extrait de l'état des biens et du personnel de l'Hôtel-Dieu de Clermont 1765. Arch. dép. Puy-de-Dôme, F 068

 

Cependant, l’hôpital conserve une dimension religieuse avec la persistance des ecclésiastiques dans l’administration des établissements mais aussi la présence des congrégations religieuses féminines.

 

 

Doté d’une capacité de 500 lits, il est installé hors de l’enceinte de la ville. Les conceptions médicales et hygiénistes, à l’aube du XIXe siècle, préconisent en effet que les malades profitent d'une meilleure ventilation, de plus de lumière et de jardins.

 




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