La peste

Partir, éloigner et prier


La peste, ou du moins les pestes (on qualifie de peste certaines maladies contagieuses non identifiées), réapparaît en Occident avec la terrible épidémie en 1347-1349 ; elle frappe plusieurs fois avant disparaît progressivement au cours du XVIIIe siècle.

La Peste noire, qui sévit dans toute l’Europe en 1347-1348, se répand par vagues successives, remontant progressivement depuis les ports méditerranéens vers l’intérieur des terres. Sa diffusion est due à son extrême contagiosité et la maladie ressurgit violemment dès le printemps 1349. Son taux de létalité est très important : dans sa forme dite « bubonique » (la plus courante), il atteint en Occident 30 à 50 % ; dans sa forme pulmonaire, la maladie est mortelle dans 100 % des cas. 

Concernant le territoire de l’actuel Puy-de-Dôme, la lettre du roi Philippe VI du 9 décembre 1349 au bailli d'Auvergne, qui mentionne indirectement la peste noire de 1348-1349 en Auvergne, révèle par exemple l’impossibilité d'organiser l'aumône de l'Ascension (destinée au secours des pauvres) faute de trouver suffisamment de personnes capables de donner de l'argent en raison de la surmortalité de la population.


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Lettre du roi Philippe. 9 décembre 1349 (Texte contenant la mention de la peste noire de 1348 en Auvergne.). Arch. dép. Puy-de-Dôme, E-dépôt 113 II GG 36


Lettre du roi Philippe ordonnant au bailli d'Auvergne de s'informer sur la demande des consuls de Montferrand tendant à utiliser le surplus des revenus de la maladrerie d'Herbet pour la distribution de l'aumône générale de l'ascension. 9 décembre 1349. 

Philippe, par la grâce de Dieu roi de France, au bailli d'Auvergne ou à son lieutenant, salut. A la supplication des consuls et habitants de la ville de Montferrand, disant que par certains privilèges à eux autrefois octroyés par nous, et autrement depuis si longtemps qu'il n'est mémoire du contraire, ils sont en possession d'avoir le gouvernement et administration de la maison appelée l'infirmerie d'Herbet près Montferrand et des membres et appartenances d'icelle ainsi que d'instituer en icelle et ôter d'icelle, toutes les fois qu'il est nécessaire, un maître administrateur ou gouverneur, lequel n'y prend et ne doit prendre que sa soutenance de vivre et de vêtir ; lequel est aussi tenu de rendre bon et loyal compte de ladite administration aux dits suppliants, toutes les fois qu'il leur plait, pour tourner et convertir le demeurant (le reliquat) aux pauvres et aux bonnes œuvres de charité ; et que en ladite ville de Montferrand ils ont coutume de faire chacun an, le jour de la fête de l'ascension de notre seigneur, une aumône, appelée la charité, à toutes manières (sortes) de pauvres qui veulent y venir, [aumône] à laquelle il vient bien environ vint quatre mille personnes et parfois plus. Et à cause de la mortalité qui a été en ladite ville, en laquelle sont mort la plus grande partie des bonnes gens qui aidaient bien à faire et à payer ladite aumône, comme pour autres causes, lesdits suppliants sont si grevés et chargés que tout bonnement ils ne pourront faire ni accomplir ladite aumône à la manière d'autrefois si, par Nous, il ne leur était fait aide et secours, [les consuls] suppliants [donc] qu'il nous plaise que [une fois] la maison [d'Herbet] soutenue et l'hospitalité faite comme il est acoutumé (de coutume) et le vivre et le vêtement dudit maître et gouverneur payé, que le demeurant des émoluments fussent convertis à ladite charité chacun an, perpétuellement. Nous, voulant être informés de la chose, comment elle est et quel profit ou dommage elle pourrait nous porter ainsi qu'au pays, nous vous mandons que vous vous informiez bien et diligemment sur ces choses, quel profit ou dommage ce serait pour nous et ledit pays, et que vous renvoyiez, féablement encloz (fidèlement clos) sous votre scel (sceau), l'information que vous aurez faite avec votre avis sur le tout, par devers nos aimés et féaux (fidèles) gens des requêtes de notre hôtel afin que nous puissions leur en faire telle grâce comme bon nous semblera, ladite information et votre avis vue par nos dits gens et à nous rapporté par eux. Donné à Notre Dame des Champs lez Paris, le IXe jour de décembre l'an de grâce mil CCC quarante neuf.


Si l'on ne parvient pas à identifier les modes de transmission de la peste avant le XIXe siècle, certaines méthodes relevant de l’empirisme s'avèrent efficaces. Il s'agit d'abord de partir, et, si ce n'est pas possible, de faire en sorte que les individus atteints n'entrent en contact avec les autres. Dès l’apparition de la maladie, dans la panique, les habitants, notamment les plus aisés, fuient les villes, répandant ainsi la maladie.

Les mesures prises, notamment par les corps de ville, sont peu efficaces, et parfois contradictoires : d’un côté on brûle les corps des victimes de la maladie et leurs meubles, mais on récupère parfois de l’autre leurs vêtements, porteurs de puces, qui sont les vecteurs de transmission. Les maisons où la maladie a été présente sont aussi parfumées et encensées pour purifier l'air, ce qui est inefficace.

Les pestiférés sont soit enfermés dans leurs maisons, soit exilés dans des cabanes hors de l'enceinte de la ville ; ils doivent porter des signes distinctifs. Les corps des malades sont transportés dans des charrettes par les "corbeaux ", puis enterrés à la hâte hors les murs. Les médecins et les corbeaux portent des tenues protectrices (masque, chapeau, gants…) et ont eux aussi obligation de résider à l’extérieur de la ville.


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Obligation faite aux pestiférés de porter un signe distinctif. 3 septembre 1564 (registre du conseil de santé, du 28 août au 21 décembre 1564). Arch. dép. Puy-de-Dôme, E-dépôt 113 I C III G 77


Pareillement que tous les infects porteront chacun une verge blanche à telle fin qu'ils soient connus, et de ce a été chargé Benoid Chevilhat pour leur signifier la présente ordonnance.


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Ordre de garder les suspects et les malades de peste à Montferrand barrés dans leurs maisons sous peine d'expulsion en cas de refus. Conseil du 8 novembre 1526. Arch. dép. du Puy-de-Dôme, E-dépôt 113 DEP II BB 10

A été par mes dits sieurs les consuls demandé conseil et l'avis et opinion des dessus dits [pour savoir] comment on doit se gouverner touchant les infects et suspects de peste en cette ville, si on doit fermer lesdits infects en leurs maisons et les barrer et, ceux qui ne le voudront souffrir, si on doit les jeter hors la ville.

Tous, d'un accord ont dit, conseillé et opiné que tous [ceux] généralement, de quelque état qu'ils soient, qui seront infects et atteints de la maladie de peste ou suspects, s'ils veulent demeurer en leurs maisons, doivent être barrés et toute communication [doit être] à eux interdite ; et s'ils font rébellion ou résistance d'être barrés ou qu'ils veuillent sortir et se mêler [aux gens sains] par-dessus la défense qui leur sera faite, [ils] doivent être jetés hors de la ville et contraints de vider icelle, au moins de foule et scandale que faire se pourra, et en entretenant l'ordonnance [autrefois] faite et passée par consulat. Et que le capitaine et hallebardiers fassent lesdites contraintes réellement, en sorte que la force en demeure à la ville et sur ce doit être invoqués l'aide et subside de la justice et, en cas de refus d'y donner et prêter aide, que la ville le fasse de son autorité.


L'accès aux villes est fortement réglementé en ces périodes. Laissez-passer, gardes aux portes de la ville, placards interdisant les voyageurs et marchands sont autant de mesures prises pour éviter la propagation de la maladie.


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Rejet des bouchers clermontois à Montferrand par crainte de la peste. 10 septembre 1564 (registre du conseil de santé, du 28 août au 21 décembre 1564). Arch. dép. Puy-de-Dôme, E-dépôt 113 I C III G 77

A été remontré par les bouchers de la présente ville que ce matin ils s'étaient transportés à la Rodade pour acheter du bétail, comme de coutume, ayant passeport de messieurs les échevins, à telle fin que la ville ne demeura dépourvue de vivres. Et néanmoins les consuls de Montferrand les auraient chassés et jetés hors de la Rodade, leur disant qu'ils étaient infects et qu'ils se retirassent sous peine que, au cas où ils seraient désobéissants et ne se voudraient retirer, ils les feraient pendre.

Sur quoi, ayant entendu les remontrances, plaintes et doléances, a été conclu que messieurs les échevins ou l'un d'eux, avec messieurs Dupré, de Nohanent, André, Sarsat et Pierre Jehan, se transporteront [à] Montferrand pour s'informer du contenu des remontrances et sauront, avec les consuls, les causes pour lesquelles ils ont jeté les bouchers hors la Rodade et leur feront toutes remontrances raisonnables.


La religion ne peut être dissociée de la maladie. Si l’idée d’un éventuel châtiment divin s’inscrit dans les esprits, elle est rapidement abandonnée par les autorités. En revanche, elle est un recours spirituel , et on prie afin d’éloigner la maladie.


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Mesures contre la peste à Montferrand. Conseil du 12 avril 1526 (extraits). Arch. dép. Puy-de-Dôme, E-dépôt 113 II BB 10


[…] Desquels ledit Malet a requis avoir leur conseil et opinion touchant […]

Si l'on devait bâtir et réparer les murs de la ville.

Si l'on devait faire aumône le jour de la prochaine ascension notre seigneur du blé de la charité. […]

Que le capitaine se plaignait de ce qu'il n'avait assez de gages, attendu l'inconvénient de peste qui pullulait et ne voulait plus servir sans lui augmenter ses gages et sans avoir hallebardiers.

S'il serait bon d'entretenir maître Phelibert de Beaubois, médecin, à cause de la peste et lui donner quelques gages.

Si l'on devait envoyer la portraicture (la figure) de la ville en cire et la procession à Manglieu.

Et par la plus saine voix et opinion des dessus nommés a été opiné et conclu à tout ce qui est dit. […]

Quant aux bâtiments et réparations de ville, il faut encore surseoir et, considérant le temps qui court, il n'est pas besoin de bâtir ni d'assembler les gens.

Ni semblablement de faire aumône générale à l'ascension, [en revanche] sera bien fait de donner dudit blé de la charité aux infects si la peste pullule.

Ni d'envoyer à Manglieu, ni faire aucune assemblée de gens.

Bien sera fait d'environner la ville de cire et la mettre à un rondeau devant Notre Dame à la chapelle et illec (là) la faire brûler.

Et faire dire une ou deux messes votives, [demandant] qu'il soit le plaisir de Dieu de tenir la ville en santé. […]

Quant au capitaine, pour ce que la maladie pullule, sera bien fait de lui bailler deux hallebardiers et lui augmenter ses gages d'environ dix livres pour ce qu'il sert bien la ville et tire beaucoup de peine.

Quant au médecin, pour ce qu'il est homme entendu et est [utile] pour secourir la ville, que lesdits consuls lui doivent donner environ dix livres s'il se veut tenir en cette ville et faire service à ladite ville. […]

Après délibération, il est décidé d'éviter les rassemblements. L'idée de contagion possible en cas de rassemblement est avérée. On distribue du blé aux personnes atteintes de la peste. Le recours à dieu est présent par les décisions de célébrer des messes et mettre un rondeau de cire devant Notre Dame.

On accroît le pouvoir et les rémunérations du médecin et du capitaine de la garde.


La lecture de ce document révèle les solutions mises en œuvre par les consuls de Montferrand en 1526. Là encore, certaines contradictions apparaissent : s’il est décidé, après délibération, d'éviter les rassemblements (l'idée de contagion possible en cas de rassemblement est avérée aux yeux des contemporains), on décide, pour obtenir une protection divine, de célébrer des messes publiques et de mettre un rondeau de cire devant Notre Dame ; les processions sont parfois organisées lors des épidémies accroissent encore le risque de diffusion de la maladie.


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Lettre des consuls d'Issoire aux échevins de Clermont les félicitant de la guérison de la ville et de la fin de l'ire de Dieu. 4 décembre 1631. Arch. dép. Puy-de-Dôme, E-dépôt 113 I GG 32


Messieurs,

Nous avons [votre lettre] qu'il vous a plu nous écrire du 18e du passé. [Nous avons] vu par icelle que Dieu retire son ire de vous, ce qui réjouit cette ville et, nous croyons, toute la province pour le bien et nécessité d'icelle. La maladie cessant par sa grâce et miséricorde, y ayant quinze jours qu'en votre ville et faubourgs il n'y a rien de nouveau, et que par la continuation d'un bon ordre, vous serez tôt purgé et nettoyé. Nous prierons Dieu vouloir accompagner votre bon dessein et intentions à ce que, dans l'année de votre charge, vous puissiez vouer tout à fait votre ville nette et libre et, par ce moyen, vous acquérir une couronne de laurier pour avoir bien combattu le mal. Quant à nous, nous vous dirons qu'il y a environ un mois que, par la grâce et assistance de Dieu qui toujours nous protège et favorise de ses grâces, notre mal est allé fort lentement et toujours en diminution. [Il y a] eu quelques corps pendant quinze jours dudit mois et, depuis [les] quinze [derniers] jours, par intervalle, quelques corps et depuis samedi dernier, aucune nouveauté ni aucun mal ni malade, ce qui nous fait espérer, avec l'aide de ce bon Dieu et père, de jouir une guérison entière, espérant ceste grâce par les prières de la Vierge sa mère. […].


Autre fait marquant dans la société : le souci de mettre ses affaires en ordre avant la mort. Pour un chrétien, mourir sans avoir « testé » est une angoisse terrible. Par le testament ou la donation (pro anima), on redistribue ses biens et l’on finance des messes pour sauver son âme.




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