6 mai 1968 : les étudiants clermontois dans la rue !

Restée relativement « calme[1] » au regard des événements parisiens, l’Université de Clermont-Ferrand est l’une des premières universités de province à se mobiliser, dès le 6 mai, ce qui confère  une importance particulière à l’engagement des étudiants.


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Manifestation devant la Préfecture du Puy-de-Dôme, 6 mai 1968. ©Arch. dép. Puy-de-Dôme, 104 Fi 29


« Répondant à l’appel du Bureau National de l’U.N.E.F., l’Association Générale des Étudiants de Clermont-Ferrand (A.G.E.C.) affiliée à cette organisation, a lancé le 6 mai 1968, à partir de 8 heures, un mot d’ordre de grève générale illimitée des cours et travaux pratiques pour « protester contre la répression policière à la Sorbonne et affirmer sa solidarité avec les étudiants emprisonnés[2]. » »

Le bureau de l’A.G.E.C.-U.N.E.F. se réunit le 6 mai au matin et décide de la tenue d’un meeting à 16h30 dans l’amphithéâtre II de la faculté de Lettres. L’A.G.E.C. prend également contact avec les organisations syndicales ouvrières (C.F.D.T. et C.G.T.), les syndicats enseignants (F.E.N. et S.N.E. Sup.) ainsi que le syndicat C.G.T. de l’École nationale des Impôts et le Syndicat du personnel administratif de l’Université afin de proposer une unité d’action. La plupart de ces syndicats, tout en se montrant favorables à la cause des étudiants, condamne néanmoins toute violence. Ainsi, l’union départementale de la C.G.T. « n’accepte pas de participer à la manifestation mais envisage cependant d’adresser « un message » de solidarité aux étudiants dans lequel elle entend néanmoins dénoncer « les agissements de certains groupuscules anarchistes qui font le jeu du Gouvernement et jettent le discrédit sur les étudiants[3] ». L’A.G.E.C. lance aussi un « appel à la population » afin de l’amener à rejoindre le mouvement étudiant. Un tract est notamment distribué auprès des ouvriers des usines Michelin.

Le mouvement réunit près de 4 500 grévistes sur les 12 000 étudiants que compte l’Université de Clermont. Grâce aux piquets de grève, il touche essentiellement les facultés de Lettres (100% de taux de grève) et de Sciences (80% du 2e cycle), tandis que les professeurs ne participent pas à cette opération. Dans les autres facultés ou établissements d’enseignement supérieur, les cours se déroulent normalement.

Près de 600 étudiants assistent au meeting à la faculté de Lettres : les intervenants rappellent les mots d’ordre et demandent l’annulation des sanctions correctionnelles déjà prises envers les étudiants parisiens, la libération des étudiants encore détenus et la réouverture des facultés. Après le meeting, un cortège d’étudiants parcourt les rues de la ville : les autorités comptent 500 étudiants, et La Montagne moins de 1 000[4]. Parti de la faculté de Lettres, le cortège s’arrête aux Carmes près de l’usine Michelin à 17h30, pour la sortie des ouvriers ; la tentative de jonction avec les ouvriers est un échec. « De plus, à l’approche de l’objectif « final », les éléments les plus modérés refusent de manifester devant la Préfecture[5]. » Ils ne sont donc plus que 350 selon la note des Renseignements Généraux. La photographie à l’appui de cette note montre les étudiants assis devant la Préfecture. Les banderoles laissent apparaître les messages « [L]IBEREZ nos [CA]MARADES », « LIBERTE S[Y]NDICALE / NON à la RE[PRESS]ION »[6]. Un nouvel appel à la grève générale et illimitée est lancé pour la journée suivante.

Dans l’ensemble, cette première journée d’action s’est déroulée dans le calme et sans accroc devant la Préfecture, malgré la présence de mouvements étudiants de droite ou d’extrême-droite sur le trottoir opposé. Un seul incident se produit vers 17 heures devant l’entrée de la faculté de Droit « où un piquet de grève provenant de la faculté de Lettres s’est légèrement heurté à un groupe d’étudiants venus assister à un cours de droit. Une porte d’entrée en verre à cependant volé en éclats[7]. »

À l’échelle nationale, le 6 mai est une date importante pour le mouvement étudiant de mai 1968. À Paris, les étudiants de Nanterre comparaissent devant le conseil de discipline de l’université. Mais comme l’explique Nicolas Carboni : « c’est avant tout une journée de manifestation et l’avènement, dans la soirée, des premières barricades. Ce 6 mai est donc une « date clé » (…), qui pour la première fois durant ces semaines d’agitation, est confronté à la violence des affrontements avec la police, affrontements qui suscitent une vive émotion dans le pays. Si le « Paris étudiant » semble totalement mobilisé à cette date, la contestation en province est beaucoup plus nuancée, à quelques exceptions locales dont Clermont-Ferrand fait partie. Dans les universités de province, la journée du 6 mai est l’occasion d’une concertation et d’une diffusion de l’information plus que d’action, ce qui confère aux évènements clermontois un aspect avant-gardiste[8]. »  

 

 


[1] Le mot est emprunté à Roger Quilliot, alors enseignant à la faculté de Lettres de Clermont et chargé des questions universitaires au contre-gouvernement.

Roger et Claire Quilliot, Mémoires, t. II, Paris, éd. Odile Jacob, 2001, p. 383. 

Cité par Nicolas Carboni, L’agitation étudiante et lycéenne de l’après-Mai 1968 à 1986. Du cadre national à l’exemple clermontois, Thèse de doctorat d’Histoire, sous la direction de Mathias Bernard, Université Blaise-Pascal, Clermont II, 2012, p. 105.

[2] Note des Renseignements Généraux, 7 mai 1968, cote : 1851 W 221.

[3] Ibid.

[4] « Grève de protestation des étudiants en sciences et en lettres de l’Université de Clermont-Ferrand », La Montagne, édition du 7 mai 1968.

[5] Nicolas CARBONI, L’agitation étudiante et lycéenne…, op. cit., 2012, p. 108.

[6] Deux autres banderoles dont les slogans sont moins lisibles sur cette photographie scandent : « NON A L’ETAT POLICE », « UNITE CONTRE LA REPRESSION ».

[7] Note des R.G., op. cit.

[8] N. CARBONI, L’agitation étudiante et lycéenne…, op. cit., p. 106-107.

 

 

Pour en savoir plus : 

Nicolas CARBONI, L’agitation étudiante et lycéenne de l’après-Mai 1968 à 1986. Du cadre national à l’exemple clermontois, Thèse de doctorat d’Histoire, sous la direction de Mathias Bernard, Université Blaise-Pascal, Clermont II, 2012.

 


Manifestation devant la Préfecture du Puy-de-Dôme, 6 mai 1968, photographie tirée de la note des Renseignements Généraux (7 mai 1968, 1851 W 223).

Arch. dép. Puy-de-Dôme, 104 Fi 29




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