Saint-Austremoine d’Issoire : l’une des « cinq majeures » d’Auvergne

Saint-Austremoine d’Issoire, représentante majeure de l’architecture romane auvergnate au sein d’un groupe d’églises dont la parenté formelle et l’homogénéité architecturale ont tôt frappé les esprits, figure sans conteste parmi les attraits culturels et touristiques incontournables du Puy-de-Dôme. L’émergence d’une « conscience patrimoniale » dès les premières années du XIXe siècle, la création du poste d’Inspecteur général des Monuments historiques (1830) et la publication des premières listes de monuments à protéger qui ouvre l’allocation de moyens financiers de l’État, ont contribué à forger une identité culturelle tant nationale que régionale. L’église d’Issoire figure sur la toute première liste de monuments, établie en 1840.


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Le chevet de l’église Saint-Austremoine et le collège, vers 1925. Photo Gouttefangeas, éditions G d’O. Arch. dép. Puy-de-Dôme, 570 Fi 352

La restauration d’ampleur de Saint-Austremoine, débutée dès 1835 sous la direction des architectes Aymon-Gilbert Mallay, un des premiers spécialistes de l’architecture romane auvergnate, et Auguste Bravard, désigné par la Ville d’Issoire, s’inscrit dans le vaste programme de rénovation urbaine mené par le maire Trioson-Bayle, qui conduit notamment à dégager l’édifice du tissu urbain qui l’enserrait afin de lui donner une entière visibilité architecturale. Dès cette époque, la fonction de l’édifice dépasse la fonction religieuse : plus qu’un lieu de culte, l’église incarne désormais le patrimoine et l’histoire locale, et fait la fierté de ses habitants. En 1831, l’imposant chevet et ses majestueux volumes empilés que souligne le décor lithique polychrome – probablement partie la plus spectaculaire de l’édifice – est le premier à être mis en valeur par le déblaiement des restes des remparts et de l’ancienne église paroissiale Saint-Paul. Au sud et à l’ouest de l’édifice, le percement de rues désolidarise l’église des anciens bâtiments conventuels (laïcisés, ils sont devenus hôtel de ville et collège) : libérée de toute entrave visuelle et bâtie – et même si elle ne correspond pas à la réalité historique – la beauté de l’architecture peut être embrassée dans sa totalité. Les architectes peuvent aussi mieux faire valoir leur expertise et juger des travaux les plus urgents à réaliser.


La première phase de travaux résumée dans le plan, et l’étude du bâti qui l’accompagne (2 O 4431 : dossier préparatoire à la restauration de l’édifice) permettent d’estimer l’état de dégradation du bâtiment dont les dommages les plus anciens pouvaient remonter au XVIe siècle (pendant les guerres de religion en 1577, la crypte a servi de four pour la fabrication de pièces d’artillerie…). Fragilisée par la destruction de ses clochers et d’une partie de sa façade occidentale, puis par son utilisation comme marché à fromages entre 1792 et 1801, la totalité du bâtiment doit être revue. Par ailleurs, le déblaiement de ses abords (dont la destruction d’une sacristie, dite aussi « chapelle noire ») compromet l’intégrité visuelle et la solidité de l’édifice. Le plan de Mallay et Bravard inclut donc la reconstruction des clochers ainsi que celle de la chapelle axiale du transept nord, afin de restituer à l’édifice son apparence (supposée) d’origine. La question de la façade occidentale est épineuse : « restaurée » au tout début du XIXe siècle quand l’église Saint-Austremoine, d’abbatiale, est devenue paroissiale, de nombreux éléments ont été détruits et la façade recouverte d’un badigeon masquant la structure d’origine. Mallay envisage d’abord la construction de deux tours clochers sur ce massif occidental, mais les premiers travaux permettent de retrouver la base du clocher, unique, d’origine. Par ailleurs, les interventions dans le massif occidental permettront la découverte de peintures murales dans ses chapelles supérieures…


À l’intérieur de l’édifice et à cette phase de travaux, la question du décor n’est pas encore prioritaire : seule est proposée la restitution du profil des moulures des piliers et colonnes, ou la réfection du pavage. Contrairement à d’autres grands édifices romans (bourguignons par exemple), les églises romanes d’Auvergne recèlent peu de décor sculpté – exception faite des chapiteaux du rond-point du chœur ou, à Issoire, des médaillons du chevet représentant les signes du Zodiaque. Les quelques éléments sculptés relevés par Mallay ou décrits par Prosper Mérimée dans ses Notes d’un voyage en Auvergne en 1836, leur semblent peu, à cette date, dignes d’attention. En 1835, quelques chapiteaux historiés ou avec des griffons (« si fréquents dans les chapiteaux de l’Auvergne ») et un seul chapiteau du chœur (qui « rappelle vraiment la statuaire antique ») recevront des « soins » : leurs volumes seront restitués à l’aide d’un « mastic » (stuc ?), puis badigeonnés de gris. Il faudra attendre 1852 pour que s’ouvre le chantier de restauration des sculptures, et 1856 pour que Mallay livre un ambitieux projet de décor de l’église.


En 1836, Prosper Mérimée, premier inspecteur général des Monuments historiques, visite le chantier et dresse un compte rendu en vue de justifier les dépenses de l’État faites pour la restauration des édifices. Ce texte, qui honore les restaurations déjà réalisées en conformité avec les plans dressés par les architectes et approuvé par l’autorité préfectorale, est aussi un plaidoyer pour la poursuite des travaux et… la reconduction des subventions ! Le tandem Mallay-Bravard œuvre à Saint-Austremoine jusqu’en 1880. La majeure partie des restaurations, concourant à la bonne connaissance de ce bâtiment, est réalisée sous leur direction.


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Plan pour la restauration de l’église Saint-Austremoine d’Issoire / A. Mallay et A. Bravard, 1835. Arch. dép. Puy-de-Dôme, 33 Fi 178 47


Sources

Prosper Mérimée, Notes d’un voyage en Auvergne, Paris, 1838.

Chardon du Ranquet de Guérin (Henri), du Ranquet (Émile), « L'église abbatiale de Saint-Austremoine d'Issoire », Bulletin Monumental, tome 94, n°3, année 1935, p. 277-313.

Bourdin (Jacques), Issoire : des Trois Glorieuses à la Belle Époque (1830-1914). Histoire et chronique d’une petite ville, 2015.

Bertolino (Marie-Laure), « La restauration des sculptures romanes en Auvergne. Les chapiteaux figurés du rond-point du chœur de Saint-Austremoine d’Issoire. », Restaurer au XIXe siècle., sous la direction de Bruno Phalip et Jean-François Luneau, coll. Histoires croisées, Clermont-Ferrand : Presses Universitaires Blaise-Pascal, 2012.

Morel (David), « L’abbatiale Saint-Austremoine d’Issoire. », Tailleurs de pierre, sculpteurs et maîtres d’œuvre dans le Massif central., thèse de doctorat sous la direction de Bruno Phalip, tome III, 2009.

Bréhier (Louis), « Que faut-il entendre par le terme d’art roman auvergnat ? », Bulletin Monumental, 1930, t. 89-90, p. 545-556.


 

Saint-Austremoine d’Issoire : l’une des « cinq majeures » d’Auvergne.

Arch. dép. Puy-de-Dôme, 33 Fi 178 47 (extrait du 2 O 4431)




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