Camp de Bourg-Lastic, été 1962 : accueillir les harkis

Construit à la fin du XIXe siècle comme terrain d’entrainement pour le 92e régiment d’infanterie, le camp de Bourg-Lastic sert, à partir de juin 1962, de lieu d’accueil d’urgence : plusieurs centaines de supplétifs musulmans accompagnés de leurs familles, contraints de quitter l’Algérie sur la voie de l’indépendance, y sont installés dans des conditions précaires.


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Signés le 18 mars 1962, les accords d’Evian, tout en instaurant un cessez-le-feu, disposent notamment que les musulmans engagés en renfort des troupes régulières françaises, appelés communément « harkis », doivent être protégés. Mais les autorités sont submergées par l’ampleur numérique des populations à rapatrier, qui dépasse toutes les prévisions ; les préfets doivent organiser le rapatriement, mais aussi la surveillance, des civils français et européens installés en Algérie (les « pieds-noirs »), tout en s’informant de la prise en charge des supplétifs, assurée par les autorités militaires.

Ces dernières réquisitionnent des camps militaires, disponibles l’été jusqu’aux manœuvres d’automne. Un premier camp est ainsi ouvert sur le Larzac, mais ses capacités sont vite atteintes. On libère alors celui de Bourg-Lastic, dans le Puy-de-Dôme, où les repliés sont installés, sous tentes, dans une clairière située à un kilomètre des baraquements.

 

 


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Arch. dép. Puy-de-Dôme, fonds du cabinet du préfet, 414 W 23

Le rapport dressé par le commandant du camp, après de plus d’un mois de fonctionnement, vise à « faire le point et mettre sur le papier les réflexions » suggérées par « les faits, le comportement des repliés, l’action des autorités et les solutions à trouver ». Il rend compte de l’«atmosphère fiévreuse » de l’installation, mais aussi de la situation complexe d’une population, forte de 5459 hommes, femmes et enfants au 1er août, de son état d’esprit et des difficultés qu’elle rencontre dans la perspective de son intégration (« recasement »). La majorité de ces individus, ouvriers agricoles ou manœuvres, ne dispose que de très peu de qualification professionnelle ; s’ajoutent à cela les menaces de la part d’Algériens partisans du FLN présents en métropole, qui rendent complexe leur intégration dans la vie professionnelle. Les autorités soulignent également les barrières linguistique et culturelle. Les efforts individuels d’officiers pour recaser leurs hommes portent quelques fruits durant l’été, mais demeurent insuffisants.


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Finalement, le camp est évacué entre le 14 et le 22 septembre 1962 par sept convois qui partent de la gare de La Queuille ; la grande majorité des familles est transférée au camp de Rivesaltes.

 

Le camp de Bourg-Lastic n’a donc accueilli les harkis et leurs familles que durant quelques mois ; pourtant, il représente dans la mémoire collective la tragédie de l’arrivée dans l’urgence, sur fond d’insécurité et de précarité, d’individus contraints de quitter leurs familles et leur pays. Il incarne aussi la mauvaise conscience vis-à-vis de ces supplétifs laissés pour compte malgré leur sacrifice.



Pour aller plus loin :

- Guy Pervillé, Pour une histoire de la guerre d’Algérie, Paris : Picard, 2002, p. 250.

- Charles-Robert Ageron, « Les supplétifs algériens dans l’armée française pendant la guerre d’Algérie », Vingtième siècle : revue d’histoire, n° 48, octobre-décembre 1995, p. 3-20.

- Charles-Robert Ageron « Le “drame des harkis”, mémoire ou histoire ? », Vingtième siècle : revue d’histoire, n° 68, octobre-décembre 2000, p. 3-15 

- Fatima Besnaci-Lancou, Fille de harki, Éditions de l’Atelier, 2005

- Fatima Besnaci-Lancou, Harkis au camp de Rivesaltes : la relégation des familles (septembre 1962-décembre 1964), Editions Loubatières et Mémorial du Camp de Rivesaltes, 2019, 176 p.

Et, sur l’histoire du camp de Bourg-Lastic, Le camp de Bourg-Lastic : histoires et mémoire autour d'un camp militaire


Les rapatriés musulmans du camp de Bourg-Lastic au 1er août 1962 (extraits), copie du rapport du commandant du camp de Bourg-Lastic adressé au préfet du Puy-de-Dôme par le commandant du groupe de subdivisions de Clermont-Ferrand (10 août 1962)

Arch. dép. Puy-de-Dôme, fonds du cabinet du préfet, 414 W 23.




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