Chronique ambertoise

Affecté à la cure d’Ambert le 14 juin 1750, Jacques Collangettes laisse dans ses registres des informations précieuses sur la vie quotidienne de sa paroisse.  Retrouvez ici son récit de l’hiver 1766, en version originale !


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Notta que la présente année mille sept cent soixante-six, il a fait un froid excecif et tel que, de mémoire d’homme, on n’en avoit jamais éprouvé ; même de notre tems il ne restoit aucune tradition d’un froid aussi violent et aussi long. Les plus enciens de la paroisse nous ont raporté que leurs pères leur avaient dit qu’en 1666, il y avait eu un hivers fort rude mais qui n’approchoit point de celuy de la présente année.

Le froid commença environ le quinze décembre 1765 et ne fut point absolument violent jusqu’après les festes de Noël, il fit même quelque peu de neige, il pouvoit y en avoir de deux ou trois pouces ; il n’en fit pas plus dans les montaignes que dans la pleines. Mais après les fettes de Noël, le tems devient serein et le froid s’augmentoit de jour en jour. Il devient si fort que presque touts les cheines, surtout les plus vieux et les plus gros, furent fandu tout du long du tronc, qu’ils éclatèrent même de plusieurs cotté et chaque nuit on entendoit les arbres se fendre avec fracas : les noyers qui furent aussi fendus, une partie en périt tout à fait. Et nous avons vu des holmaux [ormeaux ?], des tilleuls, poiriers, pommiers, même fayars [hêtres] fendus par la gelée, presque touts les poiriers en périrent.

On avoit peine à trouver de l’eau, les fontaines gelèrent jusque dans leurs cartes, et il  périt de nombreux bestiaux dans les étables de froid, quelques murs des bâtiments furent fendus.

Ce grand froid dura jusqu’au douze février sans discontinuer, excepté une après midy à la fin de janvier qui fut un peu moins rude, mais qui reprit tout de suitte avec la même violence.

Cependant les bleds  [blés] couverts d’un peu de neige n’eurent aucun mal et, s’il n’étoit survenu d’autre froid et mauvais tems dans le printems, la récolte n’auroit eu aucune mal de ce froid.

Le bled fut fort cher cette année, soit à cause de la récolte précédente qui avoit été fort mauvaise, soit à cause du printems de cette année qui endommagea considérablement bleds, soit à cause que dans plusieurs autre provinces on avoit presque rien cueilli et qu’on venoit chercher ici du bled.

Deux années de cherté de suitte réduisirent la paroisse dans une extrême misère. En 1766 pendant ce grand froid, tems auquel personne ne pouvoit suporter le travail, on fut obligé de chercher quelque moyen pour faire subsister les pauvres gens. On engagea la charité de fidèls à secourir ces malheureux et par le secours de bien des particuliers, on vient à bout d’établir qu’on donneroit chaque jour à l’hopital de cette ville de la souppe avec du pain à tous les pauvres, même étrangers, et on faisait plusieurs feu dans le même hôpital pour les faire chauffer. Dans un seul jour on distribua pour la soupe cent trente-deux sceaux d’eau.

Aussitôt qu’on put y tenir dehors, on fit travailler à des réparations publiques touts ceux qui étoient en état de travailler et par là, en leur faisant gaigner une journée, ils se soutinrent dans leur misère. »


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Au-delà de ce récit de l’hiver 1766, l’homme d’église raconte les difficultés dues aux mauvaises récoltes et aux saisons difficiles jusqu’en 1775 ; il a également parsemé les registres paroissiaux d’anecdotes portant sur la vie religieuse, l’aménagement de  la ville, etc. Collangettes n’est pas seulement un excellent chroniqueur, il est aussi un précurseur en matière d’état civil. Ainsi, en cas de contrat de mariage, il ajoute le nom du notaire sur l’acte de mariage, alors que cette mention ne devient obligatoire qu’en 1850. De même, lorsqu’il a connaissance du décès d’une personne, il l’inscrit en marge de son acte de naissance : la loi l’imposera seulement… en 1945 !


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Texte et illustrations sont tirés du registre des baptêmes et mariages de 1763 à 1769 de la commune d’Ambert (cote : 3E 3/74), consultable sur le site internet des Archives départementales.

 




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