D’une généralité l’autre : un engouement pour les cours de Madame du Coudray

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Lettre de Jean-François-Claude Perrin de Cypierre, intendant de la généralité d’Orléans à l’intendant d’Auvergne Ballainvilliers, Maris, 27 novembre 1763. Arch. dép. Puy-de-Dôme, 1 C 1405

Transcription du document :

C’est par les feuilles publiques, Monsieur et cher confrère, que j’ai été instruit que vous avez formé il y a quelques années en Auvergne une école pour les personnes du sexe qui se destinoient a la profession d’accoucheuses ; oserois je vous suplier aujourd’huy de vouloir bien me donner quelques ecclaircissements sur les moyens que vous avez pris pour parvenir à cet établissement, le plan et la forme que vous y avez donné et les succès que vous en avez retiré, je vous suplie Monsieur et cher confrère d’être persuadé que ma reconnoissance égalera les sentiments fidèles de respect et d’attachement avec lesquels j’ai l’honneur d’être, Monsieur et cher confrère, votre très humble et très obéissant serviteur  - de Cypierre


Pistes d’analyse du document :

L’entreprise menée à la fois par Ballainvilliers et par Madame du Coudray, est pionnière. Elle s’accompagne de réussites évidentes dans le domaine de l’accouchement. Ces dispositions amènent donc d’autres intendances à vouloir s’inspirer de l’exemple auvergnat. On fait donc appel à l’expertise de Ballainvilliers. De Cypierre n’est pas, à ce titre, un cas unique : invité par le contrôleur général Bertin à attirer dans sa généralité d’Auch Madame du Coudray, l’intendant Antoine Mégret d’Étigny écrit à son confrère Ballainvilliers, le 28 juin 1762, pour connaître « son traitement » et « les conditions qu’elle doit remplir » (1 C 1405, pièce n°1) ; quelques années plus tôt encore, c’est l’intendant de Moulins, Jean-Vincent-Claude Le Nain, qui, le 29 décembre 1760, remercie Ballainvilliers pour ses « instructions » au sujet de la sage-femme.

Un mémoire imprimé à Moulins (1 C 1405, pièce n°6) célèbre la réussite du projet de Madame du Coudray dans le Bourbonnais. Le Nain apporte par ailleurs des modifications dans la gestion de l’entreprise. Estimant qu’il y a eu en Auvergne trop peu d’élèves formés en raison du coût que cela représentait pour le roi (« on défrayoit aux dépens du Roy les femmes qui venoient en profiter, de la dépense de leur voyage & de leur séjour »), l’intendant de Moulins fait supporter le financement aux villes. Le mémoire se félicite qu’il y ait eu 80 élèves pour le premier cours de Madame du Coudray. Le Nain,  soucieux « d’exciter l’émulation entre les femmes qui suivoient les cours » a mis en place trois prix destinés à récompenser les « trois élèves qui s’étoient les plus distinguées ». On souligne également dans ce mémoire l’attitude du corps de la chirurgie du Bourbonnais qui « a donné des lettres de maîtrise pour une somme très-légère au plus grand nombre des élèves & absolument gratis à celles que la pauvreté mettoit hors d’état de payer même cette modique somme ».

L’entreprise de Madame du Coudray séduit par ses bienfaits évidents pour le bien public. Démarrée en Auvergne, elle se propage peu à peu dans le reste du royaume. Les intendants sont les rouages importants de cette diffusion. Leur correspondance témoigne de leurs retours d’expérience mais aussi de la volonté d’améliorer l’organisation des cours et d’en augmenter l’impact. On sent d’ailleurs une sorte d’émulation entre généralités : le mémoire moulinois laisse bien paraître cette dimension de compétition.

Si ce document veut avant tout saluer le rôle déterminant de l’intendant ainsi que l’attitude exemplaire des Bourbonnais, il ne manque pas d’avertir ceux qui voudraient faire appel à Madame du Coudray des difficultés auxquelles ils s’exposent : « on doit encore prévenir ceux qui voudront lui faire faire des cours dans leurs provinces, qu’ils doivent s’armer de patience, pour vaincre l’insensibilité des Peuples pour tout intérêt qui n’est pas instant, & pour surmonter les obstacles que la jalousie & l’envie des chirurgiens pourroient faire naître ».  L’entreprise de Madame du Coudray n’est pas seulement le révélateur d’un problème sanitaire d’envergure, propre au monde rural : elle est aussi un levier de modernité qui s’attaque aux blocages institutionnels, sociaux et intellectuels de l’Ancien Régime.




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