L’eau qui change en pierre !

Déjà évoquées en 1575, les vertus « pétrifiantes » de la source du faubourg Saint-Alyre, exploitées dès la fin du XVIIIe siècle, deviennent, au siècle suivant, une véritable attraction touristique des environs de Clermont. 


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Courrier à l’entête de la Grotte pétrifiante, 1920. Arch. dép. Puy-de-Dôme, M 4578


Il faut remonter au XVIe siècle pour trouver dans l’imposante Cosmographie universelle de l’écrivain François de Belleforest (1530-1583) une mention de la source située au sein de l’abbaye Saint-Alyre : « Au-dedans de cette abbaye passe un fleuve, qu’on dit avoir esté jadis nommé Scateon, & ores [aujourd’hui] est dit Tiretaine, sur le cours de laquelle est posé ce merveilleux pont de pierre naturelle fait de l’eau d’une fontaine, qui s’endurcit en pierre non sans estonnement des effects miraculeux de la nature (…)[1] ». Belleforest rapporte que le « feu roy Charles neuviesme du nom faisant son voyage de Bayonne voulut voir ce pont merveilleux » et visita l’ensemble « comme chose estrange & des plus rares miracles de nature qu’on voye guere en la France. » La renommée du site ne se dément pas puisque, près d’un siècle plus tard, c’est Esprit Fléchier (1632-1710) qui raconte sa visite de Saint-Alyre en ces termes : « Nous entrâmes ensuite dans le cloître et dans un petit jardin où l’on nous fit voir des grottes de voûtes de rocher, des cabinets et cent autres choses que fait en ce lieu une fontaine admirable qui change tout ce qu’elle arrose en pierre. Elle a fait, en coulant, un pont d’une grandeur fort considérable qu’elle augmente tous les jours (…). Les feuilles et les bâtons qui tombent par hasard, ou qu’on jette exprès dans cette eau, durcissent insensiblement, et se couvrent d’une écorce assez forte, qui se forme d’un limon subtil qu’elle entraîne, et qui ne paroît point dans son cours, qui s’épaissit pourtant sur les matières solides qu’elle rencontre[2]. » À cette époque, le quartier de Saint-Alyre compte plusieurs sources, dont certaines disparaitront avec l’extension de la ville. Selon la tradition, la « grotte du Pérou » de Saint-Alyre tire son nom de « Peïrou », terme signifiant « pierre » en patois auvergnat.

 


[1] François de Belleforest, Cosmographie universelle de tout le monde […], Paris, 1575, p. 228.

Source Gallica : http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/btv1b550085563/f1n633.pdf?download=1.

[2] Mémoires de Fléchier sur les Grands-Jours tenus à Clermont en 1665-1666, publiés par B. Gonod, Paris, 1844.


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Animaux en cours de pétrification, vers 1930. ©Arch. dép. Puy-de-Dôme, 567 Fi 65



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Objets divers en cours de pétrification, vers 1930. ©Arch. dép. Puy-de-Dôme, 566 Fi 965

D’après un document daté de 1772, les eaux de Saint-Alyre sont prodigieusement chargées de sélénite et terre ferrugineuse[1]. Le processus chimique s’explique en réalité ainsi : « Lors de l’arrivée à l’air libre, le carbonate précipite d’abord en cristaux de forte taille donnant une roche tendre, peu cohérente, au grain grossier puis, petit à petit, ce grain s’affine jusqu’à constituer un ensemble dur et dense ». Pour tirer profit du phénomène, des sujets sont installés sur des échelles inclinées de manière à être recouverts de cette matière. L’exposition peut durer de quelques semaines à quelques années.

Un véritable commerce d’objets « pétrifiés », se développe au XIXe siècle sous l’impulsion du sieur Clémentel, propriétaire. Ce type de réalisations est alors en vogue et connu également à Gimeaux ou Saint-Nectaire. Parmi les sujets vendus figurent de petits objets : scènes illustrées, fruits, feuilles, animaux empaillés, etc. Le jardin du site est décoré de statues à figure humaine, réalisées à partir de mannequins. Les « pétrifications » de Saint-Alyre seront même présentées lors de l’exposition universelle de 1878.

Parallèlement, les eaux de Saint-Alyresontégalement « employées comme celles des autres sources de Clermont, comme légèrement apéritives et toniques, elles préparent à l’usage des purgatifs, et en favorisent l’effet ; elles passent quelque fois pour cette raison pour febrifuges[2]. » Un établissement thermal voit même le jour en 1826, sans connaître le succès les eaux de Jaude semblent avoir connu plus de succès.

L’exploitation de la fontaine pétrifiante perdure tout au long du XXe siècle jusqu’à la fin des années 1980 où l’on assiste alors au tarrissement des sources.


[1] Cote 1 C 1431

[2] Qui a la propriété de supprimer ou de diminuer la fièvre. Cote : 1 C 1431.




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