L’impact des cours de Madame du Coudray : succès réel ou mitigé ?

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Lettre d’un auteur non identifié (peut-être le subdélégué d’Ambert), non datée (sans doute de 1768). Arch. dép. Puy-de-Dôme 1 C 1404.


Transcription du document :

L’école de démonstration des accouchemens sur la machine inventée par la dame du Coudrai à procuré dans ce pais ici un bien infini ; l’on ne voit plus actuelement arriver dans les campagnes circonvoisines aux femmes en travail d’enfant aucun accident facheux, qui étoient autrefois parmi elles fort communs ;

Les sages femmes instruites sur la machine sçavent aujourd’huy faire la différence d’un accouchement naturel, d’avec la contre nature ; et si quelque cas se trouve au dessus de leurs sphère, elles demandent du secours avant que l’accouchement soit trop avancé ; et avec cette sage précaution, l’on prévient les dangers, auquel ses malheureuses femmes étoient exposées ;

Le nombre des femmes que le chirurgien démonstrateur pourra instruire pendant les trois mois que dure l’école de démonstration ne pourra excéder celui de dix a douze ;

Il commence sa leçon par un discours théorique assez long, ensuite il fait manœuvrer sur la machine chaque femme en particulier, et lui montre la manière dont elle doit se conduire pour opérer, quand l’enfant ce présente en mauvaise situation ; cette démonstration pratique allonge considérablement la leçon ; qui dure ordinairement sept a huit heures ;

Voici le nombre des sages femmes que l’on a instruites dans l’année 1766.

Sçavoir

Suzanne Pouyet du bourg d’Arlanc

Claude Chapelle de la paroisse de Mayre

Claude Chassagnon de la parroisse de Dore l’Église

Marie Bonnefond de la parroise de Médeyrolles

Vitale Couvert de la parroisse de Chaumont

Damiane Paulze de la parroisse de Marsac

Izabeau galon de la parroisse de St Alire

Anne Vernet de la parroisse de Dorange

Le chirurgien démonstrateur n’ayant pas trouvé les sages femmes cy dessus instruites suffisamment dans le cours d’opérations de 1766, il les à rappelées pour assister a celui de l’année dernière 1767 ; et avec se double secours, elles seront en état d’opérer avec un succer plus heureux.

On à un soin tout particulier pour conserver la machine ; elle est en fort bon état.

 

 


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Lettre du chirurgien Bordenave au subdélégué d’Ambert ( ?), Arlanc, 15 décembre 1764. Arch. dép. Puy-de-Dôme 1 C 1402

Transcription du document :

Monsieur

Nous avons eû cette année une vingtaine de femmes, qui n’ont pas toutes assisté assiduement à nos opérations. Et elles regretent le temps qu’elles perdent ; j’espère pourtant qu’à l’avenir, nos démonstrations produiront un succer heureux, et pour parvenir à cette fin, je vous promets Monsieur la réitération de mes leçons annuelement, avec la plus grande exactitude ;

Ayer la bonté Monsieur de me continuer l’honneur de votre protection, et de représenter a Monsieur l’intendant, que mon assiduité près de ses femmes qui se destinent à l’art des accouchemens, me donne beaucoup de peine, et me fait perdre bien du temps ;

Je [sic] l’honneur d’etre avec un profond respect

Monsieur

Votre très humble et très obéissant serviteur

Arlanc Le 15 Xbre 1764…                                                                                                                                                                                             Bordenave


Pistes d’analyse de ces 2 documents :

Le cas ambertois (document n°8) montre que l’on a fixé un seuil de recrutement pour les élèves volontaires (10 à 12 places). On ne trouve dans ce groupe que des femmes issues des « campagnes circonvoisines », c’est-à-dire de petits villages distants d’Ambert de 20 (Marsac, 9 ; Chaumont-le-Bourg, 12 ; Arlanc, 16 ; Mayres, 20 ; Médeyrolles, 20 ; Dore-l’Église, 21)  à 30 km (Doranges, 27 ; Saint-Alyre-d’Arlanc, 28). Le document présente également l’organisation des cours : on pratique l’alternance entre théorie et pratique, et chaque élève doit s’entraîner sur la machine de Mme du Coudray. Les cours sont très longs et durent entre 7 à 8 heures. À Clermont-Ferrand, ceux-ci se déroulent sur 4 à 5 heures. Les effets de ces cours prolongés, durant trois mois, sont patents. Les sages-femmes sont désormais capables de faire face à des accouchements autant naturels que compliqués. On leur apprend également à ne pas intervenir si elles se trouvent confrontées à un cas difficile. Le bilan général que dresse la lettre est globalement positif. L’auteur se félicite justement de la disparition des « accidens facheux » lors des accouchements. La fin de la lettre tempère toutefois cet enthousiasme. Les élèves de 1766 ont été appelées à poursuive leur formation en 1767, n’ayant pas été « instruites suffisamment ».

La lettre du chirurgien Bordenave (document n°9) permet d’en comprendre les raisons. Ce dernier met en avant les difficultés qu’il rencontre dans l’exercice de ses fonctions. Il oppose son cas à celui de ses élèves dont il relève le manque d’assiduité. Certaines femmes sont obligées de rentrer chez elles pour les travaux des champs et les récoltes ou préfèrent travailler pour subsister, le paiement des cours n’étant pas toujours suffisant. D’autres raisons sont évoquées. Le Clermontois Blancheton fait lui aussi part à l’intendant Ballainvilliers de ses « peines » et « embarras » (1 C 1402, pièce n°10, non datée). Il déclare que les femmes qu’il forme « n’entendent pas le français ». Il est donc obligé de faire beaucoup de « mouvements » pour que « ces personnes grossières puissent retirer de ses leçons tout l’avantage et les fruits nécéssaires pour que les femmes en couche puissent obtenir d’elles des secours efficaces (…) ». Au manque d’assiduité ou aux difficultés de communication s’ajoutent d’autres problèmes. Par exemple, des questions de « bienséance » : les femmes sont obligées d’aller prendre leurs leçons chez un homme, un homme qui vit seul de surcroît, ce qui fait que certains maris s’y opposent.

 

 




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