Madame du Coudray, sage-femme itinérante : mise au point biographique

Si la vie privée de Madame du Coudray est marquée par de nombreuses zones d’ombre, sa vie publique, est beaucoup mieux connue. Angélique-Marguerite Le Boursier du Coudray naît à Clermont-Ferrand, vraisemblablement en 1712. Elle s’installe à Paris où elle suit une formation de sage-femme à l’Hôtel-Dieu (1737-1740). Elle demeure dans cette ville jusqu’en 1755. Son retour en Auvergne, à Thiers, la confronte à la dure réalité obstétricale des campagnes. Elle décide de mettre alors son savoir au service du bien public. Elle obtient du roi, en 1757, un brevet l’autorisant à donner des cours dans l’ensemble du royaume et publie à cet effet un manuel d’obstétrique (Abrégé de l’art des accouchements, 1759). Elle accompagne la théorie des leçons d’un volet pratique, grâce à la mise au point d’un mannequin de démonstration.

Cette « machine de Madame du Coudray » a été approuvée le 13 mai 1756 par l’Académie de chirurgie. Il s’agit d’un mannequin en toile rembourrée de coton, de taille réelle, représentant la partie inférieure du corps d’une femme, des reins jusqu’à mi-cuisses. Il est fixé sur un socle en bois et les cuisses en tissu sont placées sur deux étriers. Le mannequin est accompagné d’accessoires. Citons, entre autres, une pièce en tissu représentant l’anatomie génitale de la femme, une poupée de la taille d’un fœtus à terme (50 cm) avec cordon ombilical, un utérus ouvert permettant de voir le placenta et un bébé de 7 mois en position fœtale ou encore des fœtus de jumeaux. Même si Madame du Coudray s’adjuge volontiers la conception de sa machine de démonstration, il n’en est rien. Le Suédois Johann Van Hoorn décrit dès 1715 une machine constituée d’un bassin de femme et d’une poupée en cuir représentant le nouveau-né. Quant à l’Anglais Richar Manningham, il forme en 1739 des élèves accoucheurs sur une machine constituée de deux pièces, à savoir un bassin de femme et un utérus artificiel. En France, dans les années 1730, l’accoucheur Grégoire utilise lui aussi une machine. On peut donc supposer que lors de sa formation à Paris, Madame du Coudray a observé l’une d’entre elles et s’en est inspirée pour réaliser la sienne.


Le Musée Flaubert de Rouen, qui a consacré en 2004 un ouvrage à la sage-femme, la dépeint ainsi : « Sûre d’elle, fière de sa notoriété, cette célibataire endurcie l’est sans aucun doute ! La fréquentation de tout ce qui compte dans la province, ses relations, ses relations avec le monde politique à Paris, les éloges qu’on lui décerne partout où elle passe, la persuaderaient aisément de son importance si besoin était. Elle pousse en effet tellement loin la vanité et l’ambition que souvent elle incommode… Mais son efficacité plaît (p. 9) ». Madame du Coudray bénéficie en effet de soutiens importants. Parmi les hommes d’influence qui lui assurent sa carrière, on peut relever entre autres les noms du contrôleur général Bertin (voir document n°1), du banquier et financier Necker, ou encore du chirurgien Jean Baseilhac, dit le Frère Cosme. La Fayette, qui aurait été sauvé à sa naissance grâce à l’intervention de Madame du Coudray, ferait également partie de ses appuis.


La sage-femme est aussi une femme d’affaires qui n’oublie pas, dans son dévouement à l’intérêt général, son intérêt personnel. Bien que mise à l’abri du besoin grâce à l’octroi d’une pension royale de 8000 livres annuelles, Madame du Coudray  tire profit de tout, qu’il s’agisse de ses déplacements et logements, de la vente de ses manuels et machines, tout cela aux frais des provinces qu’elle visite.

Madame du Coudray réalise en effet, entre 1758 et 1783, soit pendant vingt-cinq ans, un véritable tour de France des généralités. On estime qu’elle a pu former à l’art de l’accouchement, dans une cinquantaine de villes, plus de 5 000 élèves et peut-être 500 professeurs démonstrateurs. Ces voyages incessants fatiguent cependant Madame du Coudray. Et sa santé déficiente n’arrange rien. À partir de 1775, elle est affaiblie par des attaques de goutte  et handicapée par une tendance à l’embonpoint. Elle délègue peu à peu sa mission à sa nièce, Marguerite Guillomance, qui l’accompagne dans ses voyages depuis 1768, et à au chirurgien Coutanceau. Ce dernier, rencontré et engagé à Bordeaux en 1770, épouse Marguerite Guillomance en 1773. Le couple se substitue donc progressivement à Madame du Coudray et assume peu à peu les démonstrations publiques. C’est à Bordeaux, où elle se retire en 1783, que la sage-femme finit ses jours entre 1790 et 1794, la date de son décès étant incertaine.


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Lettre autographe de Madame du Coudray, Tulle, 29 décembre 1763. Arch. dép. Puy-de-Dôme, 1 C 1405


Transcription du document

Monsieur

Recevé s’il vous plais, les asourence de tout les vœux que je fait pour vous, vous ne pouvés d’outer de leur sincérité puisque tens de sentiments réunie ensemble les forme, et me fait vous les offrire, je vais encore les acroitre cest sentimens, vous allé, monsieur, contribuer a la désition de mon sort en voulent bien me d’onner un certificat du bien que mes [élèves] on produit en novergne cest la sirconstance la plus esensielle a ce que me dit Mr Bertin, sa demission m’a d’abore efreyer, mais il m’a fait la grace de me faire dire que je lui envoiyasse au plus tot des certificat de toutte les provinces où j’avois former cest établisemen et que mon sort seroit assuré si, monsieur, le nouveau controlleur généralle vous est connüe. J’espère que vous vouderai bien lui parller en ma faveur. Je conte toujour sur vos bonté et j’ay l’honneur d’etre avec respect

                                       Monsieur

Votre tres humble et tres obeysente servente

du Coudray


NB 1 : Henri-Léonard-Jean-Baptiste Bertin (1759-1763) est remplacé en décembre 1763 par un nouveau contrôleur général des finances, Clément-Charles-François de l’Averdy (1763-1768).

NB 2 : la retranscription des manuscrits se veut fidèle à l’original. Quelques modifications ont néanmoins été apportées ponctuellement afin d’assurer une bonne compréhension du texte (ajout de majuscules pour les noms de personnes et de lieux, ajout ou retrait d’éléments de ponctuation).




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