La rue et la ville
Dossier réalisé, en 2018, par Sandrine RICHARDON et Corinne DALLE.
La rue est depuis l’origine de la ville un élément constituant fondamental. D’abord un espace aménagé, bordé d’immeubles, de maisons qui sont le cadre de vie habituel, elle est ensuite devenue le lieu privilégié des échanges, du commerce et des solidarités de voisinage. C’est un lieu public. La rue va être l’objet de travaux d’urbanisme importants en raison de l’essor démographique de la ville et de l’arrivée d’une évolution majeure, l’automobile.
La rue : un nécessaire aménagement
La rue éclairée
Nicolas de La Reynie, Lieutenant général de la police sous Louis XIV, décide en 1667 de renforcer les mesures de sécurité et de surveillance policière dans les rues de la ville de Paris. En 1697, un édit du Roi est promulgué qui prescrit « l’établissement des lanternes dans les principales villes du Royaume ». La rue doit être éclairée.
Ces premières lanternes sont constituées de petits carreaux assemblés au plomb et d’un capot protégeant une chandelle. Elles sont suspendues par des cordes fixées sur un mat à la hauteur du premier étage. L’éclairage va évoluer : à l’huile fin XVIIIe- début XIXe siècles, puis au gaz au milieu du XIXe siècle. Vers 1880, toute la ville de Clermont-Ferrand est éclairée au gaz. Quelques années plus tard, l’électricité fait son apparition. Vers 1900 les premières lampes à arc sont installées place de Jaude. Les villes vont équiper les rues de candélabres aux formes variées. Mais pour longtemps encore, ce sera le gaz qui éclairera la majeure partie de la ville et l’allumeur de réverbères restera un personnage familier
Travaux de voirie
Au début du XXe siècle, la cohabitation entre automobiles et charrettes devient délicate dans les rues. Les pouvoirs publics réagissent pour les adapter aux véhicules motorisés. La démocratisation de l’automobile entraîne l’aménagement de nombreuses routes que l’on doit paver ou goudronner.
Toutes les communes de la banlieue de Clermont ont, elles aussi, connu des travaux d’urbanisme en raison de leur essor démographique.
Aérer la ville : percer des ouvertures et faciliter la circulation
Jusqu’au milieu du XIXe siècle, la place de Jaude, place centrale de Clermont-Ferrand, est un lieu boueux, crotteux et nauséabond. Des aménagements s’imposent : éclairage par des becs de gaz, plantation de marronniers d’Inde, inauguration des 2 statues : Desaix en 1848 et Vercingétorix en 1903.
Entre 1892 et 1894, est construit un nouveau théâtre place de Jaude dans l’ancienne halle aux toiles. La fin du XIXe siècle est marquée par la construction du dôme de l’église des Minimes par l’architecte Teilhard.
Extrait du registre des délibérations du conseil municipal de la ville de Clermont-Ferrand, du 23 décembre 1892, pour l’acquisition d’un terrain permettant l’ouverture d’une voie allant de la place de Jaude au carrefour du Boulevard du Salin et de la rue Morel-Ladeuil.
Clermont connaît au début du XXe siècle une expansion industrielle (en particulier avec l’entreprise Michelin), qui s’accompagne d’un essor démographique et d’un développement urbain considérable. La population est ainsi passée de 82 580 habitants en 1921 à 111 710 en 1926. Les autorisations de bâtir ne cessent d’augmenter. Mais ceci n’est possible qu’avec la percée de voies nouvelles et de grands travaux d’urbanisme. Après 1920, les limites de Clermont craquent de toutes parts. Des boulevards circulaires sont alors construits afin d’éviter de passer par le centre de la ville. Dans la ville elle-même, pour relier Jaude au boulevard Pasteur, on amorce la percée de l’avenue Julien[1], qui ne sera achevée que bien après la Seconde Guerre mondiale.
[1] Pierre Alphonse Julien, né à Clermont en 1848, pharmacien, puis professeur de géologie à la Faculté des Sciences de Clermont, il sera adjoint au maire de 1896 à 1904 et Président de l’Académie de Sciences et Belles Lettres et Arts de Clermont
La rue et l'eau
Entre utilité ...
Avant 1875, les égouts étant pratiquement inexistants, la Tiretaine demeurait un foyer permanent d’infection. Un extrait d’une correspondance du service vicinal de la ville de Clermont-Ferrand en date du 25 mai 1888 demande la suppression de cassis aux abords des chemins vicinaux. On appelle
cassis des fossés pavés destinés à arrêter les eaux qui tendent à sillonner la
chaussée, et qu'on établit à cet effet transversalement sur l'axe de la route. Il est précisé que « la ville de Clermont fait exécuter (…) le prolongement de l’égout déjà établi sous la route nationale n°141 rue Blatin » et demande « la disparition de ces cassis qui (…) aurait pour effet de faciliter la circulation générale, d’embellir le quartier (…) et de débarrasser l’immense carrefour (…) de toutes les eaux pluviales et ménagères, qui coulant à découvert, peuvent par les temps de grandes chaleurs, porter atteinte à la salubrité publique ». (Cote 3 O 76).
Le tout-à-l’égout ne sera généralisé que bien après la Première Guerre mondiale.
Un extrait du registre des délibérations du conseil municipal de Clermont-Ferrand, lors de la séance du 30 décembre 1925 (Cote 3 O 86), sur le tarif des redevances pour l’évacuation à l’égout des eaux pluviales et ménagères, montre que la ville est tenue de supporter les dépenses de plus en plus élevées pour assurer le nettoiement et l’entretien de son réseau d’égout. La ville demande aux usagers des branchements une légère redevance annuelle, une redevance du « Tout à l’Egout ». Cet extrait fait référence à « divers arrêtés rendus par la cour de cassation notamment ceux du 10 février 1873 et du 19 juillet 1922 qui consacrent la légalité des taxes demandées par les communes aux propriétaires pour le déversement à l’égout des eaux pluviales et ménagères, même lorsqu’un règlement d’hygiène rend ces déversements obligatoires ».
Une photographie de 1952 montre les travaux engagés par la municipalité de Clermont-Ferrand pour alimenter en eau les différents quartiers, notamment grâce à la construction d’une deuxième conduite d’eau boulevard Lafayette.
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À Clermont-Ferrand, l’assainissement est une réelle problématique. La Tiretaine a été longtemps un égout. Un article de la Montagne, du mardi 17 octobre 2017 (Cote 2 PER 448) rappelle l’histoire de la Tiretaine. À l’origine, dévalant d’Orcines, elle alimentait les hommes, les bêtes et la grotte des laveuses à Royat. « Moins connue est son utilisation à des fins défensives dans sa partie montferrandaise lorsqu’elle servait à remplir les douves des remparts qu’on laissait alors déborder en cas de menace pour rendre les terrains impraticables à la cavalerie et à l’artillerie. Plus généralement et plus pacifiquement, l’eau de la Tiretaine servait à l’industrie et notamment la blanchisserie Trinquart à Royat. Draps et nappes de toute l’agglomération étaient alors nettoyés avant que la rivière ne vienne faire tourner les roues à aubes des moulins chamaliérois. Elle poursuivait son cours et son œuvre chez Michelin, refroidissant les machines et nettoyant le caoutchouc, avant de finir sa besogne hygiénique dans les abattoirs alors installés place du 1er-Mai ».
Mais du fait de la présence de rats et en raison de la pollution olfactive et visuelle, il y a alors une véritable prise de conscience des pouvoirs publics afin que soit mis en place un travail d’anticipation sur le cycle de l’eau. Les grandes opérations ont débuté après la Seconde Guerre mondiale et la situation s’améliore nettement. Et si, à Chamalières, « le cours d’eau est recouvert à la construction du Carrefour Europe au début des années 80, la décision est prise en revanche quelques années plus tard de laisser la rivière à l’air libre dans le quartier Beaulieu. » Une période charnière où, pour des raisons urbanistiques, on décide encore parfois « d’enterrer la Tiretaine pour pouvoir construire au-dessus et répondre à la demande croissante de logements».
... et embellissement
Les fontaines ont été un des facteurs d'hygiène, en limitant le risque de choléra ou de maladies véhiculées par les puits risquant d'être contaminés par les excréments et eaux usées. Certaines fontaines jouaient aussi le rôle d'abreuvoir ou de lavoir. Un extrait du registre des délibérations du conseil municipal de Clermont-Ferrand du 27 décembre 1907 (Cote 2 O 3584) met en avant l’utilité de la construction de lavoirs, comme celui proposé au Pont de Naud. « La création de lavoirs publics s’impose à toute municipalité soucieuse du bien-être et de l’hygiène des classes laborieuses » afin de laver leur linge. « Le lavoir sera alimenté par l’eau de Royat dont la canalisation va jusqu’au jardin des Plantes. Il réalisera les meilleures conditions possibles de propreté et d’hygiène, étant donné que l’eau qui alimente ce lavoir coulera constamment».
Mais la construction des réseaux de canalisations d’eau va entraîner la suppression ou le déplacement de nombreuses fontaines, surtout dans les villes, comme ce fut le cas de la fontaine d’Amboise à Clermont-Ferrand.
Jacques d’Amboise, évêque de Clermont de 1505 à 1516, frère du cardinal Georges d'Amboise, dont on connaît le goût pour l'art de la Renaissance italienne, fit réaliser, à partir de 1511 par le sculpteur Chapart, une fontaine. Cette dernière fut d'abord installée sur la place Derrière-Clermont, devant le portail méridional de la cathédrale et devant le palais épiscopal (aujourd'hui place de la Victoire). Elle avait un rôle utilitaire autant que décoratif et les habitants du quartier pouvaient y puiser l'eau. Jusqu'au XIXe siècle, l’approvisionnement de la population en eau potable et en eau destinée à l’usage artisanal ou industriel se fait presque exclusivement par les fontaines. En 1808, la fontaine d’Amboise est déplacée place Delille. Un extrait du registre des délibérations du Conseil général des Bâtiments civils, lors de la séance du 27 avril 1854 (Cote 4 T 88), explique qu’elle sera déplacée au centre du carrefour du cours Sablon et de l'avenue Carnot. Mais, à cet endroit, elle devient un obstacle à la circulation moderne, et en 1962 elle est transférée à son emplacement actuel place de la Poterne.
La place Delille comporte un terre-plein central au milieu duquel se trouve la fontaine Delille, réalisée vers 1875. Cette fontaine a remplacé la fontaine d'Amboise qui se trouvait à cet emplacement de 1808 à 1854. Deux kiosques de fleuristes sont installés sur ce terre-plein, ce qui lui donne un caractère pittoresque. L'animation y est importante dans la journée car la place Delille est sur le parcours naturel des piétons entre la gare et le centre-ville par la rue du Port et du fait de la présence, à proximité immédiate, d'établissements scolaires.
Les grands aménagements dans la seconde moitié du XXe siècle
La rue en constante mutation
Depuis le milieu du XXe siècle, l’agglomération a connu des changements considérables, voire un certain bouleversement. Vers 1955, la construction a pris un énorme essor, l’ouverture en 1954 de la Faculté de Médecine, et celle de la Faculté de Droit prévue en 1959, faisant de Clermont-Ferrand une ville universitaire. Avec la création des régions, la ville de Clermont-Ferrand devient la capitale de la région Auvergne.
L’agglomération clermontoise va connaître une évolution démographique et économique entrainant des changements importants dans son urbanisation. La rue doit alors être réaménagée et modernisée.
Le plateau central va dans les années 1960 être sérieusement remanié et changer de visage. Un article de la Montagne du 2 octobre 1961 (Cote 5 BIB 2) titre « Le plateau central respire l’air des Monts Dômes ».
Un article de la Montagne du 9 novembre 1961, explique la nécessité de démolir le quartier Saint-Eloy en raison de la vétusté et de l’insalubrité de cet îlot. Des immeubles administratifs et de nouveaux logements plus modernes, les H.L.M, vont modifier l’allure de ce quartier en créant au rez-de-chaussée des « galeries marchandes ». Dans le même temps, la place de Jaude connaît un « remodelage » complet. Les trottoirs vont être rognés afin d’organiser des stationnements pour les voitures. De l’église des Minimes jusqu’au carrefour de la rue Blatin, trois couloirs de circulation seront tracés. Des feux tricolores sont installés aux principaux carrefours. L’automobile devient reine.
L’article de la Montagne du 17 octobre 1961 explique que 2 nouvelles voies de pénétration vont être percées à partir de la Place Gaillard, afin de décongestionner le centre-ville. Il est prévu d’élargir les rues dans le centre-ville (Rue Gonod, Rue Lagarlaye par exemple).
L'ouverture sur de nouveaux quartiers
Un article de la Montagne du 21 octobre 1961 (Cote 5 BIB 2) rend compte d’un rapport consacré à une convention entre la ville et la Manufacture des pneumatiques Michelin, afin d’urbaniser une nouvelle zone au nord de Clermont-Ferrand: la Plaine. La construction de 2 150 logements est prévue. De nouveaux axes sont aménagés conduisant à des travaux de voirie et de réseaux, notamment sur le boulevard Etienne Clémentel. Vers 1970, le quartier de Champratel voit le jour avec la construction de ses nombreuses tours.
Le tramway : entre rupture et continuité
Clermont-Ferrand est un moment à la tête du progrès en France pour les transports urbains, car elle fut la première ville à avoir un réseau de tramways électriques. Le projet en revient à l’ingénieur Jean Claret en 1887. Un décret de 1888 accorde la concession d’une ligne Montferrand-Royat. En 1895, une ligne traverse la ville, de la place Delille à Jaude, en passant par le boulevard Trudaine, la place Michel-de-l’Hospital, la rue Ballainvilliers et la rue de l’Hôtel-Dieu.
Par la suite, le tramway va s’étendre aux proches banlieues clermontoises. Le 15 septembre 1928 s’ouvre la ligne Clermont-Aubière.
Mais le 1er janvier 1955, les Clermontois voient disparaître le dernier tram de la ligne de Royat, au profit de l’automobile.
Dès les années 1970, une prise de conscience sur les conséquences d'une politique du « tout automobile » naît à Clermont-Ferrand. Face aux problèmes et nuisances générés par l'automobile dans la ville, l'idée d'un tramway est relancée à Clermont-Ferrand. Mais c'est en 1990 que le projet devient sérieux, avec une inauguration prévue en 2002. La mise en service de la première section de la ligne A a finalement lieu le 13 novembre 2006, de la station Champratel jusqu'au CHU Gabriel Montpied.
L'arrivée du tramway s'est accompagnée d'une transformation de la ville, avec de nombreux travaux de ravalements de façades et de modernisations de bâtiments ou de sites publics. Les importants travaux de la place de Jaude, totalement réaménagée pour préparer la venue du tramway, restent le point marquant de cette mutation urbaine. La place de Jaude est redevenue piétonne. Seules 2 rues, qui la traversent du nord au sud sont accessibles aux voitures.