La ville de Clermont aide Jeanne d’Arc

Registre des comptes des consuls de Clermont dit "le registre du Chien"

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Registre des comptes des consuls de Clermont dit le registre du Chien. Arch. dép. Puy-de-Dôme, 3 E 113 /270


Les consuls de Clermont, comme ceux de Montferrand ou d’autres villes tiennent une comptabilité scrupuleuse et conservent précieusement les archives municipales. Chartes, livres de comptes, procès-verbaux de séances, rôles d’imposition ou simples pièces de correspondance qui constituent ces fonds d’archives, offrent un aperçu intéressant sur les événements politiques et administratifs, la vie urbaine ainsi que les éléments quotidiens de la gestion d’une cité.

Se plonger dans les comptes de gestion peut sembler rebutant dans un premier temps. Mais ce serait là ignorer des sources extrêmement utiles pour l’historien. En effet, les consuls devaient nécessairement préciser la nature des dépenses engagées. Les recettes figurent également, et quelquefois, certaines précisions ont été ajoutées à côté des sommes mentionnées. Il convient de souligner que, très souvent, le consul était responsable sur ses propres deniers de sa gestion (« il rendait les comptes » publiquement, à la fin de sa charge). On trouve donc dans ces comptes des mentions d’achats de fournitures ou de ventes d’objets lorsqu’ils sont rédigés dans le cadre d’une activité commerciale. Les comptes d’officiers comprennent quant à eux des listes de contribuables ainsi que d’amendes et d’exploits de justice, tandis que les dépenses détaillent par exemple les matériaux employés pour la réfection du château ou les aliments cuisinés pour recevoir un hôte de marque. Les travaux, quels qu’ils soient, les réceptions, les aménagements urbains et autres, apparaissent ainsi dans ces registres, qui permettent d’étudier la vie municipale médiévale.

Notons au passage que les linguistes se sont penchés sur ces documents pour leur richesse et leur diversité linguistiques. Ainsi, Anthony Lodge a étudié les registres des comptes des consuls de Montferrand rédigés pour une partie en langue occitane. Les historiens médiévistes se sont aussi intéressés à la conservation des archives à cette époque, et au souci qu’avaient les gestionnaires de la cité de prendre soin de ces documents. En effet, les consuls gardaient les chartes, le scel (le sceau), le tout conservé méticuleusement dans le coffre (l’archa).


La campagne de Jeanne d’Arc : les villes mises à contribution

La naissance de Jeanne d'Arc se situe vraisemblablement en 1412à Domrémy, village situé aux marches de la Champagne, du Barrois et de la Lorraine, dans le contexte de la guerre de Cent Ans, qui oppose alors le Royaume de France au Royaume d'Angleterre. Le roi de France Charles VI, dit « le Fol », délaisse le pouvoir au profit de son Conseil, pris dans une lutte d'influence entre son frère Louis d'Orléans et son oncle Philippe de Bourgogne, dit Philippe « le Hardi ». Jean sans Peur, fils de Philippe le Hardi, succède à son père. Le nouveau duc de Bourgogne finit par faire assassiner son rival et cousin Louis d'Orléans en novembre 1407, acte déclencheur d'une guerre civile entre les Bourguignons et les Orléans. Profitant de ce conflit, Henri V, roi d'Angleterre relance les hostilités en brisant une longue trêve franco-anglaise. La seconde phase de la Guerre de Cent Ans se caractérise donc par une guerre étrangère couplée à une guerre civile, marquée par la lourde défaite de la chevalerie française à Azincourt en  1415.

Après de nombreux événements, dont le traité contesté de Troyes de 1420 (prévoyant la réunion des 2 royaumes du fait du mariage du roi d’Angleterre avec Catherine de Valois, fille de Charles VI), la mort de Charles VI et une couronne de France revendiquée par le roi d'Angleterre encore mineur (Henri VI), la situation territoriale est la suivante : le Sud-Ouest du territoire français est contrôlé par les Anglais de même que la plupart des régions du Nord. Orléans est la dernière ville au nord de la Loire fidèle au dauphin Charles (autoproclamé roi sous le nom de Charles VII).

Jeanne d’Arc, figure emblématique de l’histoire de France, apparaît dans ce contexte. Passons sur les différents épisodes de sa vie et les interrogations et débats dont elle a fait l’objet. En bref, elle se rend à Chinon en février 1429 où elle est finalement autorisée à voir le Dauphin Charles. Après une victoire remportée à Orléans au mois de mai 1429, Charles VII est sacré par l'archevêque Regnault de Chartres, le 17 juillet 1429, dans la cathédrale de Reims, en la présence de Jeanne. Jeanne repart ensuite en campagne. Elle conduit sa propre troupe et dispose d'une maison militaire.

Le 4 novembre 1429, celle que l’on dénomme la Pucelle et Charles d'Albret (membre du conseil du roi, lieutenant dans le Berry) s'emparent de Saint-Pierre-le-Moûtier. Le 23 novembre, ils mettent le siège devant La Charité-sur-Loire pour en chasser Perrinet Gressart (mercenaire qui a pris possession de la ville).


Et l’Auvergne ?

Dès 1428, les états d’Auvergne réunis à Riom ont accordé une aide au roi de 30 000 livres pour le secours de la ville d’Orléans, alors assiégée. Ils renouvellent leur contribution l’année suivante. En juin 1429, les états réunis à Issoire donnent à nouveau 20 000 livres au roi.

Après le siège de Saint-Pierre-le-Moûtier organisé par Jeanne d’Arc, les armes et munitions viennent à manquer. Charles d’Albret et elle se tournent alors vers la ville de Clermont et de Riom en novembre 1429. On trouve une trace de ces aides promises dans le registre de l’administration municipale de Clermont appelé « papier du chien ».


Le « Papier du chien » ou « registre du chien » :

Le registre est composé de feuilles de papier relié en peau, avec une deuxième couverture en parchemin à l’intérieur. Notons que sur ce parchemin, une mention « Pucela Jehana » avec le folio concerné a été ajoutée. Le registre est écrit en français.

Le texte débute par « c’est le papier des mémoires et diligences de la ville de Clermont de Clermont appelé papier du chien fait et ordonné par Loys Chanchat, Guillaume Boudet, Guillaume Vidal, et Jehan Dammas, eslus sur le ……….. de ladite ville le VIII jour du mois de may l’an mil quatre cent dix. »


L’aide à Jeanne d’Arc :

La mention de cette aide figure dans un passage du registre en date du 7 novembre 1429.

« Mémoyre soit que la pucela Jehanna et messaige de Dieu et monseigneur de Lebret envoyèrent à la ville de Clermont, le VII jour de novembre l’an mil quatre cent et vingt neuf, une lettre faisant mention que la ville lui voulsit (voulait) aider de poudre de canon et de trait et d’artillerie pour le sietge de la Charité. Et fut ordonné pour mess. d’église, esleus et habitants de ladicte ville de lui envoyer les chauses qui s’ensuivent, lesquelles leur furent envoyées par Jean Merle, fourier de mons. le dauphin, comme appert par sa quittance, laquelle est en ces papiers : et premièrement deux quintaux de saulpêtre, ung quintal de souphre, deux quaysses de trait contenant un mellyer (millier). Et pour la personne de ladite Jeanne une espée, deux dagues et une apche (hâche) d’armes.Et fut escrit à mess. Robert Amdrieu, qui estoit devers ladicte Jeahnne qu’il présentât ledit arnoys (harnais, équipement) à ladite Jehanne et au seigneur d’Albret. »

Un autre passage faisant état des dépenses engagées en armes suit ce texte.

 

Cette décision d’aider Jeanne d’Arc répond probablement à une lettre similaire du 9 novembre 1429 envoyée par Jeanne d’Arc aux habitants de Riom et conservée aux Archives municipales de Riom (A.C. AA 33), « à mes chers et bons amis les gens d’église, bourgeois et habitants de la ville de Riom » où il est question du siège à Saint-Pierre-le-Moûtier. Ceci explique le préambule de la délibération. Dans la lettre envoyée à Riom, elle demande expressément de l’armement et l’envoi de « pouldres, salpêtres, souffre, trait ».


 

La confrontation de ces deux sources permet de confirmer l’aide demandée et la participation des villes du Puy-de-Dôme aux campagnes militaires de Jeanne d’Arc. Les registres consulaires qui témoignent de ce contexte sont une source non négligeable pour l’historien. On peut parfois retrouver un peu du roman national dans de simples délibérations municipales !!!




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