La violence ordinaire

Dans ce premier épisode, c’est la violence « ordinaire », les atteintes à l’intégrité physique – en dehors de la cellule familiale –, qui sont abordées.


Le cadre chronologique que nous offrent les documents sélectionnés dans les fonds d’archives, courre la période 1811 à 1927. En tout, nous avons retenu sept affaires de mœurs et homicides dont l’écho nous est rendu par la presse locale ou la procédure judiciaire (enquête, actes d’accusation, pièces à conviction). Ils vous sont ici présentés plus en détail, accompagnés de certains des documents les plus significatifs.

Le procès est généralement public (contrairement à la période de l’Ancien Régime), l’accusé obligatoirement défendu, et les jurés de jugement décident « selon leur intime conviction » de la culpabilité ou de l’innocence du prévenu.

Les magistrats décident ensuite, par application du code pénal, de la sanction : les jurés disent le fait, les juges le droit. Cette séparation ne disparaît qu’au milieu du XXème siècle. L’instauration du jury évoque le problème de sa composition. En effet, jusqu’à aujourd’hui, droit de vote et droit d’être juré vont de pair avec toutes les modifications sur les critères de citoyenneté que connaît le XIXème siècle. Cette question est abordée avec le document n°1.

L’instauration du jury a eu lieu sous la Révolution française, conséquence du modèle anglais établi au XVIIIème siècle et bénéficie d’une réelle légitimité historique.

Depuis leur apparition, jury et Cour d’assises ont connu maintes modifications. Ces évolutions sont concomitantes aux bouleversements politiques, sociaux de la France. Néanmoins, le jury de jugement a toujours survécu, car les différentes réformes n’ont toujours porté que sur sa composition et sur son fonctionnement, et non sur son existence propre.

 


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"...Après une instruction de deux ans – presque jour pour jour – Benoît GIMEL est finalement condamné le 24 août 1811 à vingt ans de fers...". Arch. dép. Puy-de-Dôme, U 25147

1811 – Vingt ans de fers pour meurtre.

27 août 1809. C’est jour de fête à Saint-Victor. Des jeunes des communes alentour se retrouvent face à face. Après de multiples provocations, une terrible rixe se déclenche. Des coups mortels sont portés à l’aide de pieux et de pierres. Le principal meneur, Benoît GIMEL dit « Cotte », est alors arrêté. « Àgé de 24 ans, faiseur de cercles [cercles en fer pour les tonneaux], originaire de Lachaux, demeurant à Calville, canton de Chateldon » l’accusé est connu de la justice pour de nombreux vols ; il est par ailleurs déserteur.

Après une instruction de deux ans – presque jour pour jour – Benoît GIMEL est finalement condamné le 24 août 1811 à vingt ans de fers. Comme c’est l’usage alors (et jusqu’en 1932), c’est un jury de 12 membres, tirés au sort dans une liste de 32 noms qui a statué seul. Ce jury n’est à l’époque pas encore réellement populaire : « pendant la 1ère moitié du XIXème siècle, il est constitué de notables pris au sein de collèges électoraux très restreints (système du cens) auxquels sont adjoints des officiers et fonctionnaires » 1.


 


1863 – Un instituteur auteur d’attentats à la pudeur

C’est la rumeur publique qui accusa Sébastien PAULIN instituteur à Vertolaye, canton d’Olliergues, de pratiquer sur certains de ces élèves « des actes de la plus dégradante obscénité ». Alors que le ministère public allait lancer à son encontre des poursuites, Sébastien PAULIN disparaissait. L’enquête, qui débuta en décembre 1862, allait alors établir que depuis l’année précédente « l’accusé avait fait, avec une perversité et une audace inouïe, de son école le théâtre et de ses élèves les victimes, de ses honteux déportements ».

Sébastien PAULIN fût finalement condamné par contumace aux travaux forcés à perpétuité. « En matière criminelle, l’accusé qui se dérobe à la justice est appelé contumax. S’il ne parait pas dans un délai de dix jours, la Cour d’assises le juge selon une procédure simplifiée, sans défenseur et sans jurés, la procédure étant purement écrite» 1.


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"...Sébastien PAULIN fût finalement condamné par contumace aux travaux forcés à perpétuité...". Arch. dép. Puy-de-Dôme, U 10782

 

L’accusé Paulin, Sébastien, exerçait depuis quelques années la profession d’Instituteur Communal à Vertolaye, Canton d’Olliergues, lorsque dans le courant de 1862, la rumeur publique l’accusa de se livrer dans son école et sur la personne de ses plus jeunes élèves à des actes de la plus dégradante obscénité. Bientôt ces accusations devinrent à la fois plus précises et plus menaçantes. Le ministère public ne pouvait tarder à en être informé.

Aussi, dès le milieu de décembre 1862, avant même d’être l’objet d’aucunes poursuites, Paulin disparaissait de la commune de Vertolaye et échappait par la fuite aux résultats de l’information qui allait être ouverte contre lui.

Cette instruction a révélé que depuis 1861 l’accusé avait fait, avec une perversité et une audace inouïe, de son école le théâtre et de ses jeunes élèves, les victimes de ses honteux déportements.

Il ne craignait même pas de choisir pour absoudre ses passions, les heures de classe pendant lesquelles tous les élèves étaient réunis. Bientôt, ses excès étaient devenus si fréquents et si notoires que ses jeunes élèves ne se cachaient pas entre eux pour se désigner celui qui devait être l’objet de ses attouchements.

L’information a constaté que huit enfants ont été victimes de ses débordements mais les faits qui ont été retenus comme constituant des crimes ont été commis sur trois d’entre eux seulement.

 


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Arch. dép. Puy-de-Dôme, U 10782

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Arch. dép. Puy-de-Dôme, U 10782


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Le Moniteur 14/02/1867. Arch. dép. Puy-de-Dôme, 5 BIB 3

1867 – Tentative de meurtre en prison

Le dénommé GAUTHIER, âgé de 27 ans, récidiviste (condamné à douze reprises), fut écroué à la maison centrale de Riom le 12 mars 1865. Le 29 novembre de la même année, armé d’un marteau et d’un tranchet (un outil de coupe à la lame légèrement courbée), GAUTHIER attaque successivement un détenu, BERTHIN, et un surveillant, DRUMAINE. Cette explosion de violence trouve son origine dans une accumulation de jalousie contre le détenu et de haine envers le gardien. Début décembre 1866, GAUTHIER avec beaucoup de cynisme affirmait au juge d’instruction venu l’interroger : « qu’il avait volontairement tenté de donner la mort […] qu’il avait l’intention bien arrêter de tuer ces deux hommes et qu’il n’y allait pas de main morte ».

Le 12 février 1867, la cour d’Assise du Puy-de-Dôme, trouvant des circonstances atténuantes – qui évitent  à l’accusé la guillotine – condamne GAUTHIER aux travaux forcés à perpétuité.

 

 


1 : Jean-Claude FARCY Guide des archives judiciaires et pénitentiaires (1800-1959) – CNRS Editions (1992)


1894 – Viol reconnu par l’accusé… et acquittement

Juin 1894. BIGAI (Bonnet), cultivateur âgé de 18 ans est accusé de viol sur la personne de Marie CORRE, âgée de 16 ans. L’enquête, les examens pratiqués et jusqu’à la reconnaissance par BIGAI lui-même des faits qui lui sont reprochés ne laissent planer aucun doute sur sa culpabilité, même BIGAI, pour « atténuer la gravité (des faits), a tenté de soutenir que depuis longtemps il connaissait CORRE Marie et avait avec elle de fréquents rendez-vous ».

Août 1894. L’accusé est acquitté par la cour d’Assises de Riom, principalement grâce à une pétition en sa faveur. Ce document dont nous n’avons pas retrouvé la trace est mentionné dans une lettre du Maire de Chateldon adressée au Procureur de la République. Ce dernier est d’ailleurs très critique sur la valeur des signatures récoltées : « ils (les parents de l’accusé) ont employé l’influence d’un garde particulier […] et ce peu scrupuleux homme a poussé l’audace jusqu’à menacer Monsieur l’Adjoint ainsi que sa femme ».


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Arch. dép. Puy-de-Dôme, U 10888

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Arch. dép. Puy-de-Dôme, U 10888


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Arch. dép. Puy-de-Dôme, 5 BIB 3 68

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Arch. dép. Puy-de-Dôme, 5 BIB 3 68

1914 – Affaire de mœurs à Châtel Guyon.

Une enfant de 7 ans accuse un employé de maison de l’avoir violée. L’article met d’abord en avant le fait que les enfants ne disent pas toujours la vérité, qu’ils sont manipulables. L’accusé est acquitté, malgré des preuves médicales irréfutables. L’article présente l’accusé comme un jeune homme sans histoire, de bonne réputation. Mais il insiste aussi sur l’accusation de la fillette et l’existence de preuves irréfutables. A la lecture du journal, on ne peut guère se faire une opinion d’autant que les débats ont eu lieu à huis clos. L’article rend finalement compte de la réaction pour le moins tranchée  de la mère de l’enfant, suite à l’annonce du verdict : « puisqu’il n’y a plus de justice en France (…) je le tuerai ».


1917 – Attentat à la pudeur sur mineure de moins de treize ans

Joseph VIOTTI, âgé de 52 ans, installé en Auvergne depuis plus de 15 ans est accusé d’avoir commis deux attentats à la pudeur sur des mineurs de moins de treize ans (l’un en 1911 et l’autre en 1916). « Les faits reprochés à l’accusé sont particulièrement odieux », rapporte le journaliste du Moniteur lors du procès à la cour d’Assise de Riom, le 23 janvier 1917.

Il s’agit donc d’une affaire qui peut paraître somme toute assez banale. Mais, l’intérêt de celle-ci se renforce par la personnalité, ou plutôt l’identité de l’accusé. En effet, au-delà des faits, les origines italiennes du suspect lui sont clairement rappelées par le Président de la Cour : « Quand un étranger vient en France nous pouvons exiger de lui qu’il ait une bonne conduite […] or, votre conduite et votre moralité sont mauvaises, très mauvaises ». Il paraît alors logique de se demander dans quelle mesure cet état de fait a pu influencer les choix du jury de répondre à la majorité « oui » à l’accusation d’« attentat à la pudeur consommé ou tenté sans violence » et du magistrat de condamner finalement VIOTTI à 5 ans d’emprisonnement.


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Arch. dép. Puy-de-Dôme, U 27497

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Le Moniteur 24/01/1917. Arch. dép. Puy-de-Dôme, 5 BIB 3 73

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Arch. dép. Puy-de-Dôme, 5 BIB 3 73


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Le Moniteur 29/01/1927. Arch. dép. Puy-de-Dôme, 5 BIB 3 93

1927 – « Le crime du grimpeur de la cathédrale »

En 1927, Joseph MODANGE, âgé de 19 ans est connu des Clermontois pour ses exploits « sportifs ». En effet, à plusieurs reprises de jour comme de nuit, il a escaladé les flèches de la cathédrale de Clermont-Ferrand. Mais c’est pour un fait beaucoup plus grave que « le grimpeur de la cathédrale » reparaît dans le journal local. En effet, il comparait devant les Assises, car il est accusé du meurtre de Mme THEVAUD, âgée de 70 ans. C’est dans le but prémédité de lui voler de l’argent que l’accusé a tué, par étranglement. Celui-ci reconnaît les faits et même s’il avoue « je ne suis sensible à aucune émotion », il présente des regrets à la fille de la victime, au moment où elle témoigne contre lui. La question centrale du procès porte sur la responsabilité du suspect. L’opposition entre experts psychiatriques et témoins de la défense est relatée avec force détails par Le Moniteur.

Finalement, le verdict est présenté en deux temps, comme il était alors prévu par la loi : « Le jury après une heure de délibération rapporte un verdict affirmatif sur les questions de meurtre et de vol, mais écarte les circonstances aggravantes. Il accorde les circonstances atténuantes. La cour se retire, délibère et revient pour condamner MODANGE à dix ans de travaux forcés et dix ans d’interdiction de séjour ».


 

A travers ces différentes affaires et à la lecture d’autres dossiers que nous avons consulté, deux remarques se font jour : assez souvent, les verdicts peuvent paraître en décalage par rapport aux faits reprochés et aux preuves et/ou témoignages produits ; de plus d’une manière générale, les instructions peuvent aussi sembler beaucoup plus rapides qu’aujourd’hui.

En fait, le nombre d’acquittements ou de circonstances atténuantes peut surprendre, surtout face à des affaires particulièrement sordides. Il arrive même parfois de voir un accusé être acquitté ou bénéficier de circonstances atténuantes suite à des viols sur mineurs qu’il reconnaît.

Au début du XXème siècle, une modification est intervenue afin de supprimer le principe de la séparation du fait et du droit. La raison de cette évolution tient à la volonté législative d’éviter le plus possible les « acquittements scandaleux ».

En effet, jusque là n’ayant aucune maîtrise sur le prononcé de la peine et effrayés par une sanction trop sévère, les jurés préfèrent souvent prononcer l’acquittement, même lorsque la culpabilité de l’accusé était pourtant manifeste en raison d’aveux confirmés en audience ou de charges accablantes. D’ailleurs, les jurés eux-mêmes émettent le vœu que la législation pénale leur donne désormais le droit de se prononcer non seulement sur la culpabilité, mais aussi sur la peine. En 1832, on accorde d’abord au jury la faculté d’accorder des circonstances atténuantes, ce qui permet d’atténuer le degré de peine. Mais c’est la loi du 5 mars 1932 qui donne véritablement satisfaction aux jurés en les associant aux magistrats de la cour pour délibérer ainsi que choisir et voter la peine. Enfin à cette date, les jurés obtiennent réellement la maîtrise des suites de leur décision sur la culpabilité de l’accusé.


Chronologie indicative :

 

3 juin 1810 : Code pénal napoléonien.

1811 : Code d’instruction criminelle qui établit les Assises et le juge d’instruction

20 décembre 1815 : Cours prévôtales remplaçant les tribunaux spéciaux

6 février 1818 : Institution des modalités d’attribution des grâces royales

28 avril 1832 : Les jurés peuvent accorder des circonstances atténuantes

5 août 1850 : Loi sur les colonies correctionnelles pour enfants

6 novembre 1850 : Institution du casier judiciaire

30 mai 1854 : Loi sur la transportation dans les bagnes coloniaux (Guyane et Nouvelle Calédonie)

17 juillet 1856 : Loi donnant tous les pouvoirs, ceux d’enquêter et d’acter en justice, au juge d’instruction

9 mai-20 mai 1863 : Lois de correctionnalisation massive et de création du flagrant délit qui permet de traduire devant le tribunal, dans un délai de 24 à 72 heures, le prévenu

1872 : Loi codifiant la procédure de formation du jury

1er juillet 1884 : Loi Béranger sur la libération conditionnelle

15 juillet 1889 : Création des bataillons d’Afrique pour les jeunes délinquants

8 décembre 1897 : Présence obligatoire d’un avocat devant le juge d’instruction

12 décembre 1905 : Circulaire Chaumié sur la responsabilité psychiatrique des prévenus

5 mars  1932 : Le jury est associé aux magistrats pour délibérer et voter sur l’application de la peine




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