Les faussaires

Dans ce quatrième épisode, c’est le cas des faussaires qui est évoqué.

 

Nous nous sommes intéressés de plus près au faux-monnayage, c’est-à-dire ce que l’on définit généralement comme l’imitation de la monnaie, la falsification des pièces et billets de banque (ou autres moyens de paiement).

Le faux-monnayage est une pratique très ancienne et les faussaires ont des motivations variées.

En premier lieu, on pense à l’appât du gain. En effet, la contrefaçon des pièces et des billets de banque peut générer des revenus plus ou moins importants. La motivation du faussaire peut aussi être politique. Ainsi, au cours de l’histoire, des souverains ont fait battre des pièces de moindre valeur en les faisant passer pour les pièces authentiques.

Un autre mobile politique consiste en la falsification de la monnaie d’un pays ennemi. Les opérations « Andreas » et « Bernhard » en sont des exemples célèbres. Les objectifs étaient de falsifier la livre sterling et d’inonder le marché britannique avec cette monnaie en vue de miner la confiance des marchés. Dans un deuxième temps, il s’agissait de pourvoir l’armée allemande en ressources monétaires supplémentaires.

La pratique du faux-monnayage peut avoir de lourdes conséquences, du commerçant payé avec de faux billets à l’économie d’une nation déstabilisée.

Par conséquent, la falsification des moyens de paiement est lourdement punie.

 

Deux affaires dans le Puy-de-Dôme ont retenu notre attention.


Affaire Cavard-Bonnenfant – U 24 376

 

Les faits :

 

Deux citoyens clermontois sont arrêtés le 22 avril 1939 à leur domicile, rue Forosan[1].  D’une part, Pierre-Maurice Cavard, (51 ans), sans profession ni domicile fixe. Il est accusé de contrefaçon sur des pièces de 5 Francs (Fr)  et de tentative d’écoulement de fausse monnaie. Le 15 avril 1939, alors qu’il vient de réaliser ses fausses pièces, il essaye d’acheter deux paquets « kub » chez une épicière de la rue Ramond, Georgette Vignon, et de payer un verre de vin rouge chez le restaurateur Louis Eustache, rue Jolie. L’escroquerie échoue deux fois : l’épicière refuse la pièce ; le restaurateur, qui se laisse d’abord abuser, rattrape Cavard dans la rue, exige son dû mais conserve la fausse pièce. L’incident aurait pu en rester là si les deux commerçants n’ébruitaient l’affaire auprès des forces de police. G. Vignon dépose une plainte le 18 avril ; quant à L. Eustache, le 24 avril, il donne à la police la fausse pièce de 5 Fr qu’il a confisquée. Les témoins reconnaissent Cavard lors d’une confrontation. L’autre inculpée est Françoise Bonnenfant (67 ans), veuve Bergoin, une ancienne commerçante. On l’accuse d’avoir laissé son acolyte, Cavard, utiliser sa cuisine pour en faire un atelier de faux-monnayage et d’avoir essayé d’écouler une pièce de 5 Fr en la sachant fausse, chez une certaine Marie Robert, gérante d’une succursale des Economats du Centre, située rue de la Treille.


[1] Rue qui touche la rue de la Treille et se trouve derrière l’actuel Conservatoire de musique.


L’enquête : 

 

Pierre Cavard est né le 22 décembre 1888 à Clermont-Fd. Son père était pâtissier. Il a fait ses études à l’école des Frères, place Sugny, où il aurait obtenu son certificat d’études. Il exécute différents métiers, notamment à la taillerie de Royat (1905), à l’usine Bergougnan (avril 1911) et à l’usine Torilhon. Il accomplit son service militaire à Riom, au 105e régiment d’infanterie, avant d’être réformé au bout d’un an (1909-1910). Il participe très brièvement à la Grande Guerre. En effet, intégré en février 1915 dans le 2e régiment de Zouaves, il se retrouve versé dans le service auxiliaire en mars avant d’être immatriculé aux sections métropolitaines d’exclus début septembre. Car la justice le poursuit pour fabrication et émission de fausse monnaie : les cours d’Assises du Rhône (26 juillet 1915) et du Puy-de-Dôme (11 avril 1916[1]) confondent leurs peines respectives et condamnent Cavard à  5 ans de réclusion et 100 Fr d’amende. Une fois sa peine purgée à la Maison centrale de Riom (mai 1916-avril 1920), Cavard se fait embaucher à l’usine Bergougnan (mai 1920- août 1923).  Puis il part pour la région parisienne (1923-1931) en compagnie de sa femme, Henriette Lebrun dont il finit par divorcer. De retour sur Clermont et Royat,  il se fait embaucher chez Métenier caoutchouc (Chamalières, juin 1931-décembre 1932).

Il entre au service de la veuve Bergoin. Si les rapports de police présentent Cavard comme un « ouvrier sans histoire » pour la période antérieure à 1931, c’est tout le contraire pour celle qui suit : « vous êtes représenté comme un individu de conduite et de moralité défavorables, vivant uniquement d’expédients, ayant de mauvaises fréquentations et adonné à des mœurs spéciales. Il est signalé que vous vivez au crochet de votre patronne et maîtresse, la Vve Bergoin, que vous vous adonniez à l’ivrognerie et que vous étiez un habitué des maisons de tolérance ». Qui plus est, on signale que Cavard a été inculpé par la justice à de multiples reprises. En décembre 1933, il écope d’un mois d’emprisonnement pour recel et mendicité, par le Tribunal correctionnel de Clermont-Fd. En avril 1935, deux mois d’emprisonnement et 5 Fr d’amende pour mendicité en réunion et ivresse. En juin 1937, 60 Fr d’amende pour remise en circulation de pièces fausses.



[1] Cavard n’est pas le seul condamné. Figurent des complices : deux Clermontois, Michel-Eugène Seguin (né en 1890), artiste de music-hall, et Pierre Bardin (1889), garçon de café ainsi qu’une jeune femme immigrée, Emilia Morandi dite « Aimée », marchande foraine, née à Cronstadt en Russie.  


          Françoise Bonnenfant, fille de jardiniers, est née à Clermont-Fd le 19 avril 1872. Elle fréquente l’école St Genès jusqu’à ses 14 ans. En 1893, elle épouse Antonin Bergoin, marchand de primeurs au Marché Renoux. Elle perd en 1934, sa mère,  puis son mari. Elle reprend alors l’affaire de son époux. Comme Cavard, elle a été condamnée à de multiples reprises. On recense 6 condamnations de 1895 à 1937. Elle a d’abord été condamnée 5 fois pour fabrication et mise en vente de lait falsifié (juillet 1936- mars 1937), car elle vendait du lait coupé d’eau.

En juin 1937, elle est soumise par le Tribunal correctionnel de Clermont-Fd à une amende de 60 Fr pour mise en circulation de pièces fausses. Une « notice correctionnelle de renseignements » du 24 juin 1939 la dépeint comme une « personne de mauvaise moralité. Dénuée de tous scrupules. Indésirable ». 

Quelle relation entretiennent exactement les deux inculpés ? Une relation d’abord professionnelle puisque la veuve Bergoin recrute Cavard en décembre 1936 comme domestique. Il l’aidait à vendre ses primeurs ou à faire ses courses. Une relation sentimentale et conjugale ensuite, confirmée par le voisinage, mais pourtant inégalement assumée par les intéressés. Cavard déclare que la veuve est sa maîtresse, et qu’il vivait « maritalement avec elle depuis 4 ans ». Mais cette dernière s’en offusque et le traite de « canaille ». Leur liaison semble assez houleuse puisqu’il est dit dans un autre rapport que les demandes d’argent de Cavard faisaient « qu’elle avait avec celui-ci de nombreuses disputes, au cours desquelles elle le menaçait de la police alors qu’il lui répondait qu’elle le suivrait au bagne ».

L’affaire est rapidement circonscrite par la justice et la police. D’une part, car le principal accusé passe rapidement aux aveux : Cavard « ne fit aucune difficulté pour reconnaître les faits ». Il avoue avoir fabriqué une dizaine de pièces de 5 Fr dans la cuisine de sa maîtresse, en avoir écoulé lui-même ou par la veuve Bergoin 5 ou 6, et s’être débarrassé  des autres.

Il explique même sa technique : il a fait fondre des débris de vieux plomb et de l’étain dans une vieille casserole en fer blanc puis coulé l’alliage dans un moule en plâtre de sa création. Il ajoute avoir remis à sa complice la casserole, le moule et le serre-joint de quincailler utilisés et que cette dernière devait les faire disparaître.

Deux perquisitions au domicile des prévenus permettent d’amasser des preuves. Lors de la première, le jour de l’arrestation, le 22 avril, la veuve Bergoin indique la cave où elle a jeté la casserole et donne aux policiers le serre-joint caché dans un placard. Lors de la seconde, le 28 avril 1939, on découvre le reste du matériel utilisé par Cavard : dans un réduit, un marteau avec des traces de plâtre ; dans une cave située en dessous de celle de la veuve Bergoin, lesquelles communiquent par une trappe, des fragments de plâtre coulé, formant un moule qui a été détruit. Enfin, une expertise du 26 juin 1939, menée par le laboratoire municipal de police technique montre que les débris de métal trouvés dans la casserole ont la même composition que les fausses pièces de 5 Fr  (environ 80% de plomb, 13 % d’étain, 7% d’antimoine). Il est également précisé que « les fragments de plâtre recueillis ont en effet permis la reconstitution d’un moule qui a été en contact avec du métal en fusion. Un des fragments de ce moule porte même l’empreinte d’une partie de la tranche d’une pièce de 5 Fr et un autre fragment porte visiblement  les lettres PV du mot République ».

Pourtant, malgré toutes ces évidences, l’affaire traîne en raison de l’attitude des deux inculpés qui font et défont leurs aveux, donnent des versions des faits totalement discordantes et se chargent mutuellement.

Cavard, dès son premier interrogatoire, mais aussi dans ses 11 lettres adressées à la justice, prétend que « le chef de la sûreté, Mr Bernard, [l’a] brutalement frappé et fait signer malgré [lui] des aveux [qu’il n’avait] pas fait ». Le commissaire, Louis Bernard, qui connaît ses antécédents ; lui aurait dit : « te voilà bougre d’ordure, c’est toi qui a fait de la fausse monnaie »[1]. Pour Cavard, la police « s’acharne » sur lui, le « pourchasse » depuis 8 ans, le surveille et l’aurait déjà frappé il y a trois ans. Cette fois, il a reçu des coups de poing dans le ventre, l’estomac et la figure. Il est même rentré en prison avec un œil au beurre noir[2]. Ensuite, il adopte « comme moyen de défense, une attitude de dénégation systématique » et « [s’ingénie] à nier toutes [ses] déclarations précédentes ». Cavard prétend que les pièces de 5 Fr qu’il a essayé d’écouler lui ont été remises par d’autres personnes ; à un autre moment, il déclare ne les avoir utilisées que par erreur et que « sincèrement, [il croyait] bonnes les monnaies en question ».  « Devant l’insuffisance de ce moyen », Cavard met ensuite en cause sa maîtresse. Il déclare qu’étant son domestique, il devait faire des courses pour elle et qu’elle lui avait donné des pièces à cet effet mais qu’il n’en avait pas remarqué « la mauvaise qualité ». 

La veuve Bergoin, prétend tout d’abord n’avoir jamais cherché à écouler de la fausse monnaie et qu’elle ne connaît pas Mme Robert, commerçante. Puis, elle finit par concéder que cette dernière lui a refusé une fausse pièce de 5F. Quand on lui parle de Cavard, elle déclare savoir qu’il est un faux-monnayeur mais qu’elle n’était pas au courant qu’il avait fabriqué de la fausse monnaie. Plus tard, elle finit par dire : « je n’ai pas vu Cavard fabriquer des pièces, par contre j’ai su que Cavard en avait fabriquées, mais je n’en ai tiré aucun profit ». Elle essaye d’embrouiller l’enquête en déclarant que les preuves trouvées chez elle ont toutes été amassées lors de la seconde perquisition et non en deux fois, alors que c’est elle-même qui indique aux policiers où trouver la casserole et le serre-joint. Enfin, concernant sa relation avec Cavard, elle prétend que ce dernier s’introduisait chez elle à son insu à l’aide d’une échelle[3], en passant par une fenêtre. Lors de son interrogatoire définitif, elle déclare enfin : « je répète que je suis innocente, je dénie tous les faits qui me sont reprochés, je ne sais pas de quoi il s’agit ».

Le verdict de la Cour d’Assises du Puy-de-Dôme, du 23 avril 1940, est favorable à la veuve Bergoin  qui est acquittée alors que Cavard, de son côté, est condamné à 5 ans de réclusion et à une très forte amende.

Au final, cette affaire plutôt modeste nécessite 2 ans de procédure et fournit un dossier extrêmement précis et volumineux.

 


[1] Le commissaire Bernard (procès-verbal du 24 mai 1939) stipule que Cavard « s’est effondré et [qu’il] est entré dans la voie des aveux » et que sa diffamation, où il allègue « que les dits aveux ont été arrachés par la violence » est un « moyen devenu classique ». La position du chef de la sûreté est défendue par les deux inspecteurs chargés de l’enquête, Marcel Chomette (39 ans) et Gabriel Dufournet (35 ans).

[2] Un rapport du médecin légiste de la Maison d’Arrêt de Clermont-Fd, le 20 juin 1939, le Dr Emile Guyon, fait état d’une « ecchymose insignifiante » dans « la région sous-orbitaire gauche » survenue avant l’incarcération mais ne présentant aucun caractère de gravité.

[3] L’échelle appartient à Marie Faure, âgée de 64 ans, qui l’a prêtée  en avril 1939 à la veuve Bergoin pour qu’elle puisse nettoyer le plafond de sa cuisine.


U 24376 (jpg - 4725 Ko)

Commission rogatoire (26 avril 1939). Arch. dép. Puy-de-Dôme, U 24376

U 24376 (png - 18559 Ko)

Notice correctionnelle de renseignements sur l’inculpé Cavard. Arch. dép. Puy-de-Dôme, U 24376

 U 24376 (jpg - 4886 Ko)

Photographie des fausses pièces ainsi que des débris de moule. Arch. dép. Puy-de-Dôme, U 24376

 U 24376 (jpg - 5247 Ko)

Photographies comparatives des scellés et des pièces authentiques. Arch. dép. Puy-de-Dôme, U 24376

U 24376 (jpg - 4111 Ko)

Photographie du moule reconstitué. Arch. dép. Puy-de-Dôme, U 24376


 

 

Le Thiernois coupable mais repenti - U 10 782 n°5475

 

         Bertrand Chalmette, surnommé « Jean », est originaire de Thiers, ville où il est né le 21 juin 1828 et où il réside. C’est un ouvrier coutelier, marié avec Françoise Roch dont il a eu trois enfants.  Le tribunal l’accuse de faux en écriture de commerce et d’usage de pièces fausses.

Les différentes pièces du dossier permettent de retracer le parcours du faux-monnayeur.  Pendant plus d’une année, Chalmette a travaillé comme garçon de boutique et teneur de livre chez Adolphe Maubert, un fabricant en coutellerie à Thiers. A partir de juillet 1862, il cesse de se rendre dans l’atelier de son patron bien qu’il continue de travailler pour lui. C’est à ce moment-là qu’il met en contrefaçon quatre billets formant une somme totale de 1055 Fr ; lesdits billets ont été faits les 10 juin, 25 juillet, 19 et 23 août 1862 :

« Parfaitement instruit des relations commerciales de [Maubert], il avait indiqué les sieurs Lelièvre négociant à Tinchebray et Dubé marchand à Vitry-Le-Français, comme devant acquitter deux de ces faux billets. Il présenta successivement quatre valeurs à M. Deroure, banquier à Thiers qui, rassuré par la signature habilement contrefaite du Sr Maubert, n’hésita pas à les escompter.

Pour mieux dissimuler la fraude dont il se rendait coupable, [Chalmette] usurpait auprès de M. Deroure le nom et la qualité du sieur Roch son beau-frère [bourrelier et commerçant à Thiers] et il ne se rendait dans les bureaux du banquier que pendant l’absence de son commis dont il était connu. Après avoir touché le montant des quatre billets, [Chalmette]  disparut subitement de son domicile dans les premiers jours de septembre. »

 

En définitive, Chalmette a monté un stratagème habile et efficace. Il se sert de l’identité des clients de son patron, contrefait les assignats, mentionne l’identité de son beau-frère comme bénéficiaire, falsifie la signature de son patron et au final les encaisse à son profit.

Chalmette est condamné par contumace, en 1863,  à 20 ans de travaux forcés, à 150 Fr d’amende et à rembourser les frais de justice. Il est arrêté le 2 mars 1864 à  Genève. Détenu un temps en Haute-Savoie, il est ensuite transféré dans le Puy-de-Dôme et jugé par la Cour d’Assises en mai 1864.

Lors de son interrogatoire à Saint-Julien, le 3 mars 1863, lorsqu’on lui demande s’il reconnaît « avoir commis des faux en écriture de commerce », Chalmette répond : « c’est-à-dire  que je le reconnais sans le reconnaître, c’est une affaire à discuter ». Et il ajoute peu après : « Je suis très content d’être arrêté parce que je pourrai au moins purger ma conscience ».


U 10782 (jpg - 3535 Ko)

Interrogatoire de Chalmette (3 mars 1864). Arch. dép. Puy-de-Dôme, U 10782

U 10782 (jpg - 1965 Ko)

Interrogatoire de Chalmette (3 mars 1864). Arch. dép. Puy-de-Dôme, U 10782


 

 

« F » comme faussaire ! - U 25149 n°129

 

        L’usage de faux en écriture est également puni par loi. Ainsi, en 1911, un ancien forçat est condamné à 5 ans de réclusion, au carcan, et à être marqué de l’empreinte F, fixée au fer rouge sur son épaule. Louis Epinal, ancien instituteur, forçat libéré, a rédigé plusieurs missives adressées à la Mère supérieure du Bon Pasteur en usurpant l’identité du vicaire général en vue d’obtenir des secours. Il a également contrefait des mandats en vue de se procurer illicitement de l’argent.


U 25149 (jpg - 3617 Ko)

Pièce à conviction (fausse missive). Arch. dép. Puy-de-Dôme, U 25149

U 25149 (png - 13075 Ko)

Pièce à conviction (fausse missive). Arch. dép. Puy-de-Dôme, U 25149

U 25149 (jpg - 4446 Ko)

Pièce à conviction (fausse missive). Arch. dép. Puy-de-Dôme, U 25149

U 25149 (png - 7607 Ko)

Pièces à conviction (fausses missives). Arch. dép. Puy-de-Dôme, U 25149




Retour haut de page