Les tribulations d’un monument commémoratif

Longtemps absent de l’histoire de France, Vercingétorix sort peu à peu de l’ombre au XIXe siècle jusqu’à devenir le premier des héros du roman national. En 1862, la visite de Napoléon III, fervent admirateur de César, et les fouilles entreprises sur le plateau de Gergovie durant cette période renforcent l'intérêt pour le héros gaulois et font émerger l’idée d’une statue à sa gloire. Mais il faut plusieurs décennies pour que la statue équestre monumentale due au célèbre Auguste Bartholdi se dresse place de Jaude, dans un climat politique tendu…


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Maquette du monument à Vercingétorix place des Salins (1903). © Arch. dép. Puy-de-Dôme, collection Louis Saugues, 507 Fi 4710


À Clermont-Ferrand, l’idée d’un monument commémoratif à Vercingétorix émerge dès 1843 à l’initiative d’Amédée Thierry, écrivain et journaliste, auteur d'une Histoire des Gaulois en trois volumes qui popularise les Gaulois et la figure de Vercingétorix. Le projet n’est repris que 25 ans plus tard par l’Académie des sciences, belles lettres et arts de Clermont-Ferrand, qui crée en 1869 une « Commission pour le monument de Vercingétorix » sans statuer sur son emplacement : si le plateau de Gergovie semble tout naturellement destiné à recevoir le monument, des voix clermontoises s’élèvent pour que le héros soit aussi présent au cœur de la capitale auvergnate, car « sur nos places et dans nos rues, rien n’éveille à la curiosité du voyageur, le nom du guerrier qui balança la fortune du plus heureux capitaine de l’Antiquité » (lettre de la municipalité de Clermont-Ferrand à la Commission pour le monument de Vercingétorix, citée dans le rapport de cette commission, 7 janvier 1869).


La guerre de 1870 met entre parenthèse le monument. Durant les décennies suivantes, la Société d'émulation d'Auvergne, appuyée par la Société fraternelle des littérateurs et artistes d'Auvergne résidant à Paris, reprend le projet et créée en 1885 la « Commission Vercingétorix » présidée par Emmanuel des Essarts, professeur à la Faculté des lettres de Clermont-Ferrand, qui en appelle aux grandes figures de l’histoire nationale comme Jeanne d’Arc. Auguste Bartholdi offre le plâtre de la statue équestre à la Ville : le modèle est acheminé « par grande vitesse » en 1891 et exposé au musée ; une souscription nationale est lancée afin de financer la fonte en bronze grandeur nature de l’œuvre monumentale. Le socle, lui, doit être financé par la municipalité clermontoise.


Lettre de Bartholdi à Ulysse Chabrol, directeur des musées de Clermont-Ferrand, annonçant l’envoi du modèle en plâtre (12 septembre 1891).
© Arch. dép. Puy-de-Dôme, fonds Ulysse Chabrol, 50 J 32



L’œuvre de Bartholdi, fondue à Paris en 1900, est acheminée par la route sur un camion de Dion-Bouton et arrive à Clermont-Ferrand le 19 janvier 1902. Si l’idée d’implanter le monument sur le lieu de la bataille de Gergovie avait été abandonnée en 1892 faute de moyens financiers – le coût du transport d’un bronze pesant près de 5 tonnes sur le plateau s’avèrant trop onéreux –, l’emplacement définitif peine à faire consensus : tandis que la statue de bronze est entreposée dans la cour du Palais des Facultés, une maquette est transportée dans la ville sur les différentes places afin que les Clermontois décident de l'emplacement idéal… De rares photographies témoignent de ces pérégrinations de Vercingétorix dans Clermont-Ferrand, tantôt place des Salins, tantôt face au général Desaix place de Jaude !


C’est là qu’elle est finalement inaugurée les 10 et 11 octobre 1903, en présence d'Émile Combes, président du Conseil. Le contexte politique se prête à une démonstration de force des républicains avec une appropriation de l’espace public, sur fond de crispation des débats, à la Chambre, autour de l’enseignement.

La municipalité clermontoise souhaite accueillir dignement le président du Conseil et les ministres de la Guerre et de l’Agriculture, sans oublier l’artiste de renommée internationale qu’est Bartholdi : parcours dans la ville, discours, arcs de triomphe, mais aussi banquet républicain sont au programme. L’Armée est mise à contribution pour accueillir les 4000 invités dans les casernes des Gravanches. Le préfet doit quant à lui faire face à une menace de grève des employés du tramway, au souhait des Libres penseurs clermontois de rencontrer le président du Conseil, et à des projets de manifestation des opposants cléricaux au « père Combes ». Si l’imposante manifestation républicaine rassemble une foule nombreuse et se déroule finalement sans accroc, elle donne lieu à un vif échange entre les deux journaux locaux L'Avenir et le Moniteur du Puy-de-Dôme : quand ce dernier relate pendant plusieurs jours « la grandiose manifestation républicaine et anti-cléricale », son rival insiste sur le désordre du banquet où les victuailles viennent à manquer…


Après 1892, faute de trouver un terrain d'entente avec la Société d'émulation d'Auvergne, l'Académie des sciences, belles-lettres et arts reprend son projet initial d'un monument à Gergovie, dont elle confie la conception à l'architecte Teillard. Le monument est installé en 1900 sur le plateau de Gergovie, mais sans inauguration officielle !


Les tribulations d’un monument commémoratif.

© Arch. dép. Puy-de-Dôme, collection Louis Saugues, 507 Fi 4710 




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