Les voleurs de coloquintes

Dans ce troisième épisode, nous abordons les vols et plus particulièrement les vols alimentaires. La référence au héros de Jean Anglade s’explique par le butin parfois maigre et qui aujourd’hui peut sembler anodin (pommes de terre, citrons, farine …).


Nous avons toutefois choisi des affaires liées à des vols assez conséquents (alimentaires ou pécuniers), et parfois à l’encontre d’employeurs, circonstance aggravante à l’époque. Au-delà de leur intérêt intrinsèque, ces affaires révèlent que ce type de vols était lourdement puni, surtout si on les compare aux affaires criminelles présentées dans les dossiers précédents.

Ainsi, à titre d’exemple, en 1817, un homme déclaré coupable du vol de 5 sacs de pomme de terre est condamné à 5 ans d’emprisonnement.


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Décision du jury de la cour d’assises, 10 août 1811. Arch. dép. Puy-de-Dôme, U 25147

1810- A la poursuite des voleurs de farine. Affaire Cluchat.

Le soir du 27 août 1810, l’étau se resserre sur deux voleurs, qui dormaient dans un « chanvre » du marais de Riom, près du domaine de Mariol : à leurs côtés figurent des effets personnels (deux habits et une paire de souliers), ainsi que deux grands sacs vides. Les suspects sont deux journaliers originaires de la commune de Prompsat. Le plus âgé (57 ans), est le père : François Cluchat, dit Pioze. Son fils s’appelle Annet (22 ans). Ils sont accusés de vol par un homme, Jean-Baptiste Monet, originaire des Chamards (commune de Saint-Angel), qui est meunier dans un moulin situé à Mozat, le moulin des Creux.

Les deux hommes sont accusés d’y avoir dérobé des sacs de farine dans la nuit du 26 au 27 août 1810. Ils se sont introduits dans le moulin de Monet, « avec escalade par une fenêtre à hauteur de 3 m, de bize », puis ils en sont sortis « par la porte côté midy, donnant sur le ruisseau et qui ne fermait qu’avec une traverse de bois ». Une domestique, qui couchait seule dans le moulin, « dans un lit entouré de planches qui n’étaient pas parfaitement jointes ensemble, qu’à travers les petits espacements », est le témoin caché de la scène.  La jeune femme déclare d’ailleurs qu’elle « les laissa faire sans mot dire ». Son témoignage est essentiel : elle a identifié les voleurs. En effet, François Cluchat avait travaillé comme domestique au moulin durant deux mois environ, avant de quitter cet emploi début août ; de plus, son fils Annet lui avait rendu visite à plusieurs reprises;

Monet et sa femme mènent l’enquête pour mettre la main sur les voleurs et le fruit de leur larcin. Le meunier apprend, au cours de ses recherches, qu’on a trouvé le 25 août, à La Beaumette, un sac de farine porté chez un particulier de Riom. Monet s’y rend : il reconnaît la farine comme étant la sienne, mais pas le sac.

Les investigations  des Monet sont fructueuses : on retrouve la  trace des voleurs dans le marais de Riom. Ils sont aussitôt arrêtés et interrogés. Mais au moment de l’interrogatoire, le fils Cluchat prend la fuite et disparaît croyant « que c’étoit des gendarmes qui venoient l’arrêter » car il est en plus déserteur. Lorsqu’on l’interroge, François Cluchat nie toutefois toute implication dans le crime qu’on lui reproche. Il expose que le 27 août, vers 3h du matin, il s’est rendu sur le chemin de Mozat, près du couvent des Capucins, pour y retrouver son fils. Ce dernier est apparu alors, avec un sac de blé sur l’épaule. Il aurait dit à son père d’aller l’attendre chez François Desforges, un cabaretier de Riom. C’est là que le blé est vendu entre 5 et 6 heures. Les deux hommes boivent ensemble dans le cabaret avant de gagner Clermont. A leur retour, le soir, ils gagnent le marais où on les surprend.

Arrêté, Annet Cluchat s’évade à nouveau le 4 septembre 1810 alors que l’huissier Morand le conduit de la maison d’arrêt à la salle d’instruction. Le prévenu frappe son escorte de « trois coups de poings à l’estomach et deux sur le visage ». L’huissier tombe à la renverse, entraînant le délinquant avec lui. Mais le jeune homme se relève et s’enfuit.

Après plusieurs étapes de procédure, le 10 août 1811, Annet Cluchat comparaît devant la Cour d’Assises de Riom. S’il n’est pas reconnu comme étant l’auteur du premier vol, on lui impute cependant le second avec la complicité de son père, précédemment condamné. Le fils est donc condamné à 10 ans de réclusion, une exposition au carcan sur la place publique de Riom durant 1 heure, et avec son père, ils doivent rembourser à l’Etat les frais auxquels la poursuite et la punition du crime ont donné lieu.


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Questions au jury, 20 février 1812. Arch. dép. Puy-de-Dôme, U 25149

1812- Le voleur de vaches. Affaire Chomette.

 

Le 20 février 1812, le jury de la Cour d’Assises reconnaît François Chomette, dit Guinguet, coupable de vol de vaches. L’homme est un marchand de bestiaux de 33 ans, natif de Vollore-Ville et habitant de la commune de Saint-Vincent, située à une dizaine de kilomètres d’Issoire. Dans la nuit du 5 au 6 août 1811, dans la commune de Vollore-Ville, Chomette est suspecté d’avoir commis deux vols.

On l’accuse de s’être introduit tout d’abord dans une étable dépendant de la maison de George Chassonnery. Chomette entre par une fenêtre basse, vole une vache de trois ans (poil froment tirant sur le jaune) et sort avec elle par la porte, celle-ci n’étant fermée que par un loquet. Le second « enlèvement » de vaches a lieu peu après chez un autre particulier, Maurice Thuel Chassaing, cultivateur. Chomette rentre dans l’étable « en escaladant extérieurement la fenêtre d’un fenil ». Il y trouve trois vaches, l’une de cinq ans (poil blanc et rouge), l’autre de six ans (même description), la dernière de sept ans (poil mélangé blanc et rouge). Pour sortir avec ses prises, il fracture « intérieurement » la porte du bâtiment. Les chefs d’accusation sont donc le vol avec escalade et effraction.

Le maire de Vollore-Ville mène l’enquête. « La clameur publique » désigne rapidement Chomette comme l’auteur des crimes, étant « enveloppé d’une assez mauvaise réputation et qui depuis quelques jours avait été aperçu rodant dans la commune ». Les deux propriétaires volés ainsi que quelques citoyens se mettent sur les traces du suspect dès le matin du 6 août. « De renseignemens en renseignemens », ils parviennent dans la soirée au lieu-dit Le Villaret, au bord de La Loire. On leur apprend que quelques heures avant leur arrivée, deux personnes, un « homme fait » et l’autre « encore enfant », ont passé la rivière et qu’ils sont partis « sur le grand chemin de Roanne à Lyon ». Le pontonnier du Villaret identifie l’homme : il s’agit bien de François Chomette qui habite depuis peu aux Fourneaux, commune de Saint-Symphorien-de-Lay, « chez la veuve Dépagne avec laquelle il se disait marié ». Les poursuivants rencontrent donc, le 7 août, le juge de paix de Saint-Symphorien-de-Lay « sur le territoire duquel le délit paraissoit se continuer ». Ils portent plainte et demandent qu’on perquisitionne chez la veuve « où il était certain que Chomette avait passé la nuit avec ses objets volés (sic) ». Le juge de paix accède à la demande. La piste se précise : on apprend que Chomette, qui habite dans cette maison depuis un mois, y a passé la nuit et qu’il est parti ensuite au petit matin vendre quatre vaches à la foire de Thizy dans le département du Rhône. Le juge de paix rédige un mandat d’amener ; les gendarmes arrêtent le prévenu sur le site de la foire.

Lors de son interrogatoire, Chomette déclare, à propos des vaches, « qu’il les a achetées le jour d’hui 6 aout à la foire de Courpière, dans l’auberge du nommé Boisson devant lui et son épouse ».  L’enquête se déporte cette fois dans cette localité : « quelques efforts qu’on ait fait, pour découvrir ces deux individus, on n’a pas pu y parvenir, et il est resté certain qu’il n’y avait pas dans Courpière et dans ses environs d’individus de ce nom, surtout tenant à l’auberge ». Qui plus est, les deux propriétaires volés reconnaissent leurs vaches…


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Décision du carcan 11 avril 1812. Arch. dép. Puy-de-Dôme, U 25149

La procédure judiciaire, qui démarre à Saint-Symphorien-de-Lay, passe ensuite à Roanne auprès du procureur impérial. Ce dernier, le 9 août, requiert le renvoi du dossier devant la justice de Thiers. La sanction de la Cour d’Assises tombe : le 11 avril 1812, Chomette est conduit sur la place  publique de Courpière, attaché au carcan et exposé « aux regards du peuple pendant une heure » ayant au-dessus de sa tête un écriteau rappelant l’arrêt de la Cour. Il est également condamné à 15 ans de travaux forcés.


        


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Rapport de la préfecture de police 27 juin 1916. Arch. dép. Puy-de-Dôme, U 27496

1916- Un voleur neurasthénique. Affaire Bilon.

 

Jean-Joseph Bilon, né le 30 novembre 1898 à Saint-Eloy-Les-Mines, dans les Combrailles, a eu une enfance difficile : sa mère, neurasthénique, se laisse mourir de faim et décède le 14 février 1911, laissant son mari, mineur, s’occuper seul de ses deux enfants, Jean-Joseph, l’aîné, et un autre garçon, de deux ans son cadet. Ne pouvant éduquer efficacement sa progéniture, le père décide de les confier à leur tante, à Montrouge (Seine). Cette dernière est alors munitionnette, son mari étant sur le front.

 

C’est à Paris que tout débute pour le jeune Bilon. Alors qu’il travaille depuis trois ans comme employé de commerce (d’autres sources le disent comptable) dans une entreprise de transports, il se rend coupable, en mars 1916, d’une escroquerie, aggravée de faux en écriture, au préjudice de ses patrons, MM. Weigel-Leygonie et Cie. La somme volée s’élève à  environ 30 000 F. Arrêté le 18 mars, il est condamné le 7 avril par le Tribunal des Enfants Assistés à un an de prison avec sursis pour escroquerie et port d’arme prohibé. Libéré le même jour de sa détention préventive à la Petite Roquette (11e arrondissement), il s’en retourne chez son père « en vue de contracter un engagement volontaire pour la durée des hostilités ». Il s’enrôle le 4 mai et intègre le 6 mai le 113e régiment d’artillerie lourde stationné à Issoire. C’est apparemment moins par patriotisme que par dépit amoureux. Mais cette expérience s’avère désastreuse car  il a déjà déserté le … 9 mai. Une enquête auprès de ses camarades de chambrée révèle ses difficultés d’acclimatation à l’Armée et à sa discipline. Il aurait ainsi confié au canonnier Gelin : « j’arrive au Corps une demi-journée en retard et on commence par me menacer de me punir. Si l’on continue, je passerais en Espagne ».

 


Le jeune Bilon prend le train et rentre au domicile familial, sur St Eloy. Il se sent mal, il est fiévreux. Un docteur, qui l’examine, dit qu’il est neurasthénique mais qu’il doit retourner à la caserne. Le père de Jean-Joseph Bilon reconduit donc son fils  à la caserne d’Issoire le 11 mai. Mais le jeune homme refuse obstinément d’y mettre à nouveau les pieds. Le père se sépare alors de son fils avec un air signifiant « je t’abandonne, ne viens plus chez moi ».

Livré à lui-même, Bilon commet un vol le 12 mai chez les époux Meunier, près de la maison de son père. Il pénètre par une fenêtre ouverte et profite de l’absence des propriétaires et repart avec 50F et un revolver. Après ce méfait, Bilon prend le train pour Paris où il arrive le 13 mai. Le 14, il prend une chambre à l’Hôtel Pax (4e arrondissement). Un rapport de la préfecture de police nous apprend qu’il y loge sous une fausse identité : il se fait appeler « Pierre Durand » et précise qu’il est originaire de St Eloy en Charente et qu’il est représentant en transports. Son logeur, Arthur Losa signale que le jeune homme lui a montré un extrait de naissance conforme, à son nom.

Bilon dépense rapidement son argent et retourne à Saint-Eloy pour refaire sa bourse. Il erre dans les champs, pendant deux jours, sans rien manger. Le 22 ou 23 mai, tôt le matin, il s’introduit chez les voisins de ses parents, les Peynet (les deux maisons sont distantes de 50 m) alors qu’ils sont occupés à travailler aux champs. Bilon pénètre dans la maison à l’aide d’une échelle, fouille et remonte à Paris avec environ 505F en poche. Il fait quelques  achats dans la capitale mais aussi la noce avec des « femmes de rencontre ».

Une fois le pécule presque épuisé, Bilon regagne le Puy-de-Dôme dès le 7 juin. Il vit dans les champs et dort dans les meules de paille. Le 8 juin au matin, il pénètre chez Marie Gaume, veuve Sivade, au Café Montluçon, qu’il soulage de 200F. Son dernier vol a lieu le 20 juin 1916, sur la commune de Buxières-Sous-Montaigut. Pendant que le personnel d’une grande ferme, exploitée par Andrée Henriette Andrivon, est occupé aux champs, il brise le carreau d’une fenêtre et entre dans la maison. Il repart pour Paris avec un grand butin : 2850F, cette somme servant à la propriétaire pour « payer ses domestiques, ouvriers et fermages ».


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Télégramme 21 juin 1916. Arch. dép. Puy-de-Dôme, U 27496


Bilon, qui ne sait pas qu’un mandat d’arrêt a été déposé contre lui le 22 juin par le Parquet de Riom, est arrêté le 27 près de la Porte d’Orléans à la suite de « surveillances exercées à cet endroit ». Sur lui, on trouve un revolver qu’il a acheté pour se suicider. On fouille sa chambre d’hôtel où on recense : un porte-monnaie, des vêtements, une moustache postiche, 5 paires de souliers, une canne, un cache-poussière, un imperméable et 3 complets, sans oublier une bicyclette pour laquelle il a passé commande. Tous ces éléments ont été achetés avec l’argent des vols. Mais il possède encore  plus de 2000F sur lui.


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Lettre à ses parents 6 juillet 1916. Arch. dép. Puy-de-Dôme, U 27496

La personnalité du jeune homme est difficile à définir. Les interrogatoires le montrent acceptant les faits qui lui sont reprochés. Par moments, il « se met à pleurer et à sanglotter ». Il explique ses vols par le fait qu’il voulait se payer des études d’ingénieur et qu’il ne parvenait pas à trouver d’emploi à Paris faute d’un certificat de travail. Bilon éprouve des remords pour ses actes. Il écrit d’ailleurs à son père le 6 juillet 1916, depuis la Maison d’arrêt de Riom : « vous ne devez pas être sans connaître la fâcheuse nouvelle. Il est terrible que je vous aie conduit dans un passage aussi triste et déshonorant et je viens vous demander pardon ». La presse,

comme le titre Le Moniteur le 24 janvier 1917, fait inversement de lui « un jeune et dangereux malfaiteur », un « apache », le décrit comme un « grand jeune homme brun, imberbe et pâle, aux yeux sournois, à l’allure inquiétante. Il fait tout de suite une mauvaise impression. Notons qu’il a essayé de s’évader deux fois de la maison d’arrêt ». On rappelle enfin que Bilon préférait « suivre les filles » que des études.

 


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Arch. dép. Puy-de-Dôme, U 27496

Le procès met en avant cependant des circonstances atténuantes, liées en partie à son passé familial. Un examen psychiatrique, relaté par Le Moniteur, établit « qu’il ne comprend pas les principes en honneur dans la société ; il manque de jugement et de bon sens. Ce n’est pas un aveugle moral, mais il n’a point la vision normale de ce qui est bon ou mauvais, de ce qui est permis ou défendu ».

 

Le 23 janvier 1917, la Cour d’Assises de Riom le condamne à 5 ans d’emprisonnement, peine qui se confond avec celle de 2 ans fixée par le Conseil de guerre du 31 octobre 1916.




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