14 mai 1945 : l’arrivée de Mgr Piguet à Clermont-Ferrand

Dossier réalisé, en 2020, par Corinne Dalle et Frédéric Jarrousse


L’analyse de ces documents trouve sa place dans l’actuel programme d’histoire de Troisième (Thème 1 :– « L'Europe, un théâtre majeur des guerres totales, 1914-1945 ») et au futur programme de Terminale (Thème 1 : « Fragilités des démocraties, totalitarismes et Seconde Guerre mondiale, 1929-1945 », Chapitre 3 : « La Seconde Guerre mondiale »). Dans les deux cas, on aborde la France selon quatre axes forts : l’Occupation, le régime de Vichy, la collaboration et la Résistance. Le programme d’histoire de cycle 3 (CM2) est aussi concerné par cette période, via le thème 3, « La France, des guerres mondiales à l’Union européenne », notamment le sous-thème « Deux guerres mondiales au vingtième siècle ».

Le documentaire peut aussi être abordé dans le cadre des arts plastiques. En cycle 2 notamment, il peut aider les élèves dans leur approche de la représentation du monde en lien avec les questions de l’expression des émotions, de la narration ainsi que du témoignage par les images. 

Enfin, il trouve aussi sa place dans le parcours d’Éducation artistique et culturelle dans le cadre des arts visuels et de l’éducation à l’image.



LE FILM ET SON SUJET

 

            « L’arrivée de Mgr Piguet à Clermont-Ferrand » est le titre d’un film muet amateur, tourné en 16mm, en noir et blanc. D’une durée assez brève (4 minutes 10 secondes), il restitue, sur le vif, le retour de l’évêque le 14 mai 1945. Il est aujourd’hui conservé aux Archives départementales du Puy-de-Dôme au sein du fonds Paul-Louis Jausions sous la cote 55 AV 37.


Présentation du film et du cinéaste

Paul-Louis Jausions (1903-1984) était fondé de pouvoir pour la banque Nuger, notamment responsable des comptes de trois grandes entreprises : Michelin, Conchon-Quinette et les Economats du Centre. Photographe, et surtout cinéaste amateur prolifique, il adhère aux Amateurs photographes d'Auvergne (APA) dès les années 1930, club donc il prend la présidence en décembre 1942. C'est sous son impulsion que le cinéma d'amateur prend une place de plus en plus importante dans les activités du club : une section cinéma, indépendante de la photoraphie, est même créée en juillet 1947, alors que le club prend le nom d'APCA (Amateurs photographes et cinéastes d'Auvergne ; cf. : /n/monsieur-truc-cherche-un-scenario-histoire-d-un-film-club/n:329). La pratique cinématographique y sera florissante jusque dans les années 1960.

Paul-Louis Jausions pratique un cinéma d'amateur en club relativement classique : le souci du produit "fini", du film monté, est primordial. Pour ce qui est du tournage, y compris dans le cas des films de famille, les scènes semblent souvent préparées. Il filme donc rarement - à l'examen des 48 bobines collectées par les AD63 auprès de la famille Jausions - dans "le feu de l'action", en reporter. Par conséquent, ce témoignage du retour de Monseigneur Gabriel Piguet de déportation à Dachau est remarquable par rapport à sa production habituelle. Mais remarquable aussi du fait de l'évènement, ce qui s'explique sans doute par la nature même de cet évènement : l'aura de l'évêque de Clermont est grande, d'autant plus reconnue par un pratiquant catholique comme P.-L. Jausions. Tourné le 14 mai 1945, au format 16mm (une caméra donc lourde pour filmer "à l'épaule"), dans des conditions de foules difficiles, ce document n'est pas sans rappeler certains moment du film "Primary", de Richard Leacock (1921-2011), sur la campagne électorale du sénateur Kennedy dans le Wisconsin en 1960.


Présentation Mgr Gabriel Piguet

Gabriel Piguet est un personnage d’exception : évêque de Clermont sous l'Occupation, il est le seul évêque français à avoir été déporté par les Allemands. Ce pétainiste de la première heure est devenu Juste parmi les nations le 7 novembre 2000. Pour bien cerner l’intérêt du document, il faut revenir en quelques lignes sur celui qui en motive la réalisation, Gabriel Piguet. Nous prenons appui pour cela sur la notice biographique rédigée par Yad Vashem.

Gabriel Piguet est né à Mâcon (Saône-et-Loire) le 24 février 1887. Il est ordonné prêtre en 1910. Il participe à la Grande Guerre. Il est grièvement blessé et obtient la Croix de guerre. Nommé évêque de Clermont-Ferrand en 1933, il affiche ouvertement son soutien au maréchal Pétain en 1940, en s’inscrivant notamment à la Légion française des combattants. La répression contre les résistants et les mesures antisémites ont toutefois raison de son positionnement vichyste. Il se lance dans le sauvetage d’une dizaine d’enfants juifs qu’il fait placer dans des structures catholiques de son diocèse, à Clermont-Ferrand, au Vernet-la-Varenne, à Courpière, à Lezoux et à Chapdes-Beaufort. Il protège également des prêtres résistants, ce qui lui vaut d’être arrêté par la Gestapo, à la cathédrale de Clermont-Ferrand, le 28  mai 1944 et déporté à Dachau. Le 24 avril 1945, les nazis le transfèrent avec d’autres prisonniers d’importance à Innsbruck puis à Niederdorf. Piguet se retrouve ainsi avec Léon Blum, le chancelier Kurt Schuschnigg, le maire adjoint de Vienne Richard Schmitz et le prince Xavier de Bourbon-Parme. Libéré par l’armée américaine, le prélat est conduit le 4 mai 1945 en Italie du Nord. Il retrouve son évêché clermontois dix jours plus tard et y officie jusqu’à sa mort, le 3 juillet 1952.


LE FILM : L'ANALYSE


            La temporalité du film

Le documentaire présente l’événement de manière chronologique selon un découpage en trois grandes phases de durée croissante : l’attente des Clermontois (0 mn 53), l’arrivée de Piguet à la gare puis sa traversée de la ville (0mn 54- 1mn46), et enfin son accueil à la cathédrale (1mn 47-4 mn10

L’événement n’est donc pas couvert de bout en bout. Le cinéaste montre seulement la remontée de l’avenue de la Gare. Une coupure à la fois topographique et temporelle déplace ensuite le spectateur, sans solution de continuité, sur le parvis de la cathédrale. On peut aussi noter la construction circulaire du montage : les premières images montrent la rue des Gras (0 mn – 0 mn 17) ; la fin du film nous y reconduit.

 

            Point de vue et plans

            Le cinéaste filme à chaque fois en immersion, au sein de la foule. Il prend assez peu de hauteur (cf. le regard de l’enfant, 0 mn 13), parce qu’il y a de trop monde, mais aussi parce qu’il doit suivre l’évêque, caméra à l’épaule, qui se déplace en voiture. Les plans d’ensemble permettent de donner des repères spatiaux aux scènes filmées (la rue des Gras, la Gare, la place de Salford, la place Delille…), mais aussi d’insister sur la liesse populaire qui entoure l’événement et sur l’importance de la foule. Les gros plans sont rares, sauf sur la fin, avec la prise de vue très rapprochée au sommet des marches de la cathédrale et au plus près des deux évêques puis sur les personnes entrant dans l’édifice. On peut aussi apprécier le plan fixe sur la remontée de la rue des Gras où l’espace pavé se réduit au fur et à mesure que Mgr Piguet arrive sur le parvis. Le cinéaste crée ainsi un sentiment à la fois de convergence et  d’unanimité, mais rend aussi compte de l’étouffement lié à la foule pressante.

 

            Le film confronté à l’article de La Montagne

            L’article apporte des précisions sur l’événement et permet de compléter le film sur plusieurs points manquants. L’heure d’arrivée est indiquée (17h15). L’accueil fait à l’évêque revêt un aspect solennel puisque sont là le secrétaire général aux Affaires économiques Klecker, les colonels Gabanon et Versin, les représentants des pouvoirs publics, les autorités religieuses et les Scouts de France. Le film montre avant tout la présence religieuse : on voit arriver à la gare deux groupes de scouts ; on aperçoit aussi sur le quai des religieuses portant des cornettes. On discerne également plusieurs gendarmes essayant de canaliser la foule, puis ouvrant le passage au prélat. Si l’on ne voit pas l’évêque descendre du train, on l’aperçoit de manière fugace dans la voiture qui le conduit en centre-ville. Il est difficile, par les images, de mesurer les effets de la déportation sur son physique (« visage amaigri », « vêtements trop amples ») ; en revanche, il apparaît souriant, saluant les Clermontois. Le départ de la gare est suivi par un arrêt devant le monument des combattants rue Montlosier. Mgr Piguet y fait un discours et y dépose une gerbe de fleurs. Le cinéaste n’assiste pas à cette scène ; il profite sans doute de ce temps pour prendre place à la cathédrale. L’article indique que l’ancien évêque est ensuite accueilli solennellement par son remplaçant, Mgr Chaumont, et le chapitre, ce que le film montre (2 mn 49).

 

            Un film, des sujets

            On peut faire plusieurs lectures de l’événement.

Une lecture symbolique : le prélat héroïque et libéré retrouve sa ville ; sa libération personnelle se superpose à la Libération de la ville. Le film évoque ainsi une sorte d’union durant laquelle la population clermontoise marquée par la guerre communie avec son évêque, victime lui aussi de la guerre et du nazisme.

- L’autre lecture est évidemment religieuse. Le documentaire met largement en évidence la foi et la communauté catholique : religieuses, scouts, membres du chapitre, drapeau de la J.E.C. (Jeunesse étudiante chrétienne) accompagnent tout au long de son parcours Mgr Piguet. On ne saurait enlever  à ce dernier son rôle de protagoniste dans le film, même si les images de lui ne sont qu’assez brèves. On pourrait presque penser qu’il n’est pas totalement au centre du film. Dans une certaine mesure, il aurait même tendance à passer presqu’inaperçu face à la masse des gens qui l’entourent et l’acclament. Les Clermontois sont à chaque fois au premier plan, à travers des portraits d’ensemble : c’est la foule, la masse unie et réunie, la masse unanime. On passe, en fin de séquence, à des portraits plus individualisés (enfants, adolescents, adultes). Les plans montrent aussi une ville avec une très forte présence féminine tout au long du cortège jusqu’aux abords de la cathédrale. Faut-il y voir un effet latent de la guerre, tous les prisonniers n’étant pas rentrés ; on aperçoit justement un soldat, 0 mn 34) ou un effet de la foi, les femmes étant considérés comme les piliers du catholicisme ? 


Ce film est donc un témoignage authentique sur le retour de Mgr Piguet à Clermont-Ferrand le 14 mai 1945. Il est le révélateur d’un  événement symbolique mais aussi une fenêtre ouverte sur une ville et ses habitants au lendemain de la Seconde Guerre mondiale. 


 

L’arrivée de Mgr Piguet à Clermont-Ferrand (14 mai 1945) film 16mm., noir et blanc, muet

Arch. dép. Puy-de-Dôme, fonds Paul-Louis Jausions, 55 AV 37

Visionnez le film de l’arrivée de Mgr Piguet à Clermont-Ferrand


 (png - 4969 Ko)

Arch. dép. Puy-de-Dôme, La Montagne, 15 mai 1945. Arch. dép. Puy-de-Dôme, 8 Bib 2




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Objectifs pédagogiques

- Placer l’élève en position d’historien découvrant une source primaire - ici un film amateur sur le retour de déportation de Monseigneur Piguet, évêque de Clermont-Ferrand.

- Reconstituer le découpage du film en différents plans.

- Repérer les différents lieux où se déroulent l’action, les localiser.

- Observer, à travers des images animées ainsi que des coupures de presse, la réalité d’événements historiques majeurs inscrits dans l’histoire locale – ici les conditions du retour de déportation de nombreux Clermontois.

- Identifier les caractéristiques et les acteurs de la religion catholique au XXème siècle en Auvergne.