Terrier du doyenné du chapitre de Notre Dame du Port.

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Terrier du doyenné du chapitre de Notre Dame du Port. 1399-XVIe siècle. Arch. dép. Puy-de-Dôme, 4 G 160/1

 


Ce document est la première page d’un terrier (plutôt une série de reconnaissances notariées recopiées), qui se présente sous la forme d’un cahier de feuilles de papier, avec une reliure en peau. L’iconographie présente ici est particulièrement riche et originale. L’ensemble de ces dessins est rehaussé de couleurs (bleu, rouge, jaune).

 

Les phrases introductives « Sequitur terrarium censuum et reddituum decanatus Beate Marie Portus Claromontensis, quod fecit fieri venerabilis et discretus vir dominus Geraldus Mesclardi, presbiter, de Sancto Amantio la Cheyra, decanus et canonicus prebendatus ipsius ecclesie » présentant le terrier que l’onpeut résumer comme celuidu doyenné de Sainte Marie du Port fait pour le doyen Géraud Mesclard, homme vénérable et discret,  prêtre de Saint-Amant La Cheyre, doyen en 1399.


Un ensemble iconographique riche

 

On peut observer en premier lieu, le doyen du chapitre en prière, devant la Vierge à l’Enfant (à gauche). On peut sans doute mettre cette représentation en rapport avec les armes du chapitre figurant sur les sceaux, où figure aussi une vierge assise, tenant l’Enfant Jésus dans ses bras.

 

En haut de la page, des armoiries sont représentées. Le blason situé au centre, surmonté d’un chapeau cardinalice, représente les armes de la famille de Murol, ceci dans un contexte de soustraction d’obédience [i] vis-à-vis des papes de Rome (lors du Grand Schisme, Jean de Murol -†10 février 1399- est cardinal de l’antipape Benoît XIII). En outre, le doyen du chapitre de Notre-Dame du Port, Géraud Mesclard est originaire de Saint-Amant-la-Cheyre (actuellement Saint-Amant-Tallende), où la famille Murol est l’une des plus puissantes. Les autres armoiries représentées ne sont pas identifiées.

 

À droite de la page, le doyen est représenté à genoux, avec une tonsure, une robe bleue et une pelisse rouge sur les épaules. Les doyens du chapitre Notre-Dame du Port ont le droit, en effet, d’assister aux offices dans leurs habits séculiers (le doyen d'un chapitre, est celui qui est à la tête de celui-ci).

 

Un épervier ou un faucon est également dessiné au-dessus du blason à droite de la page, celui du doyen. Notons au passage que sur un feuillet à la fin du registre; figure un autre dessin, représentant un épervier (aucipiter) surmonté d’un phylactère, qui prête à l’oiseau les paroles « avium ego nobilite prior » (je suis par ma noblesse le premier des oiseaux), et dont les serres reposent sur un bandeau où est écrit « dominus decanus Portus Claromontis.» (le doyen du Port de Clermont).


Le doyen et l’oiseau

Il convient maintenant de s’attarder un temps sur Géraud Mesclard, déjà cité plus haut. Ce personnage haut en couleurs, chorier et vicaire à la cathédrale, comparaît devant le tribunal de la Monnaie une première fois en juin 1409 pour avoir injurié un autre chanoine de Clermont, et une seconde fois en juillet 1424 pour avoir frappé une femme. Le caractère de ce personnage explique en partie l’originalité de ce dessin et en particulier la représentation de l’oiseau de proie. Géraud Mesclard a fait rédiger un acte notarié (publicum instrumentum) pour qu’il soit permis au doyen du Port d’entrer dans la collégiale, épervier au poing, vêtu de l’habit ecclésiastique ou non. Cette présence du doyen assis à sa place, tenant l’oiseau sur son poing, est attestée de nombreuses fois, le 13 août 1397 (le jour de la Saint-Hippolyte, lors de la fête de la dédicace de l’église), le 7 septembre 1399 alors que l’évêque de Mende officie dans l’église, et encore le 21 août.

 

L’origine et l’explication de cette pratique ne sont pas clairement établies. Il convient tout d’abord de souligner qu’être en compagnie d’un épervier n’était pas un fait rare. Le Mercure Français de 1735 en rapporte aussi l’usage dans un texte de 1642.

Le privilège d’officier en tenant un épervier, un faucon ou autre oiseau de proie était parfois doublé de celui de se faire accompagner d’un piqueur tenant des chiens de chasse en laisse pendant les processions. Ce privilège a peut-être été obtenu par Guy de la Tour. (abbé L.-A. Chaix, Histoire de Notre-Dame du Port, Clermont-Ferrand, 1866).

Même si, de prime abord, la chasse peut être perçue comme peu compatible avec l’idée d’un espace consacré, elle est aussi la représentation du privilège et du pouvoir seigneurial. Ainsi, représenter l’oiseau de proie dans le terrier symbolise également le pouvoir seigneurial du doyen par la perception des redevances. Selon l’historien Joseph Morsel dans « Chasse et espace. Remarques sur le sens social de la pratique de la chasse » dans Werner Rösener, Chasse et culture de cour au Moyen Âge, la pratique de la chasse démontre la maîtrise de l’espace seigneurial. Ainsi, au XVe siècle, en Bavière, lorsque le prévôt de la cathédrale (qui administre le chapitre) parcourt le diocèse, il se voit offrir chevaux, faucons et chiens de chasse.


Pour en savoir plus :

- Emmanuel Grélois, Territorium civitatis. L’emprise de l’Église sur l’espace d’une cité et ses environs : Clermont au XIIe siècle, thèse dactylographiée, Université de Paris I, 2003.

- Emmanuel et Henri du Ranquet, L’église de Notre-Dame du Port de Clermont-Ferrand, 1932.

- Joseph Morsel dans « Chasse et espace. Remarques sur le sens social de la pratique de la chasse » dans Werner Rösener, Chasse et culture de cour au Moyen Âge, Göttingen, p.255-287.

- abbé L.-A. Chaix, Histoire de Notre-Dame du Port, Clermont-Ferrand, 1866

 

 

 

[i] La soustraction d'obédience est la politique menée par la France à la fin du XIVe siècle vis-à-vis de la papauté. Elle consiste à retirer son obédience aux papes de Rome et d'Avignon, qui se disputent le Saint-Siège, pour les contraindre à abdiquer.

 

En effet, le Grand Schisme d'Occident a provoqué la rivalité de deux papes à la tête de la Chrétienté. L'un d'eux, Boniface IX, siège à Rome et a l'appui de l'Italie du nord, de l'Angleterre, de l'Allemagne, de la Pologne et de la Hongrie. Du côté de Benoît XIII, pape d'Avignon, on retrouve la France, la Castille, l'Aragon, le Portugal, l'Écosse, la Savoie et le royaume de Chypre.

 

En 1394, Philippe le Hardi demande à l'Université de Paris de lui trouver un moyen de mettre fin à cette situation. L'Université présente alors trois solutions: la voie de compromis (laisser les deux pontifes mettre fin au schisme), la « voie de cession » (il faut les contraindre à se démettre simultanément et en élire un autre), ou la réunion d'un concile censé résoudre le problème.

 

En février 1395, le Conseil du roi appuie le principe d'une démarche pour la voie de cession, mais ni Benoît XIII, ni Boniface IX n'acceptent de démissionner. On décide alors de les obliger à le faire en ayant recours à une soustraction d'obédience, c’est-à-dire en retirant au pape les bénéfices et les taxes ecclésiastiques qui ne seront plus versés à Avignon, mais au roi de France. Seule l'autorité spirituelle est reconnue au pape d'Avignon. La France est imitée par la Sicile, la Castille et la Navarre.

 

Mais, Benoît XIII refuse de se soumettre, même si les fonds ne rentrent plus. Assiégé dans sa citadelle pendant plusieurs mois, il s’enfuit en 1403 et se réfugie chez le comte de Provence, Louis II d'Anjou, opposé depuis le début à la soustraction d'obédience.

 

La soustraction d'obédience est finalement un échec, les évêques commençant à se plaindre de la taxation des revenus des églises. Le 29 avril 1403, la Castille restitue alors son obédience au pape, suivie par la France le 28 mai. Les négociations diplomatiques qui s’ensuivent ne donneront aucun résultat, les pontifes de Rome et d'Avignon restant sur leurs positions.

 




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