Un témoignage inédit de la rafle de l’Université de Strasbourg

Acquis par les Archives départementales en mai 2023, ce document inédit, qui relate la rafle de l’Université de Strasbourg du 25 novembre 1943, vient compléter les informations données par les fonds déjà connus, et jeter une lumière poignante sur cet événement, à l’approche des commémorations de ses 80 ans.


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Témoignage anonyme de la rafle de l’Université de Strasbourg du 25 novembre 1943 (21 décembre 1943). Arch. dép. Puy-de-Dôme, 1 J 2954


L’état de conservation du document, dont le texte est rédigé au crayon sur un papier de moindre qualité et qui a manifestement été plié en quatre, ne facilite pas sa lecture. Il donne pourtant accès à un récit anonyme, daté du 21 décembre 1943 - soit un mois à peine après les événements tragiques du 25 novembre.

Le document se compose de deux parties :

  • le premier feuillet dresse une liste de 14 personnes recherchées par la police allemande, avec leurs noms et leurs fonctions au sein de l’Université ;

  • les deux suivants font un résumé des évènements et citent les noms de personnes arrêtées.


Un témoin direct des événements

L’utilisation du crayon de papier et la graphie rapide et peu soignée suggèrent une rédaction à la hâte ; divers indices (l’auteur explique par exemple au sujet de la liste des personnes recherchées qu’il ne l’a « ni vue, ni lue, ce ne sont que des souvenirs auditifs ») laissent à penser que l’auteur a été un témoin direct de la rafle.
Ce témoignage, original, peut être mis en parallèle avec d’autres documents officiels, aujourd’hui conservés aux Archives départementales, comme les rapports et listes des personnes interpellées contenus dans le fonds du service régional de Police judiciaire (1296 W 593), ou les dossiers de la délégation régionale du Service de recherche des crimes de guerre ennemis, qui comprend notamment l’interrogatoire de Georges Mathieu (908 W 614).


Le repli de l’Université strasbourgeoise

Depuis le 23 novembre 1939, l’Université de Strasbourg est repliée à Clermont-Ferrand, où elle fonctionne de manière autonome et assure ses enseignements avec ses propres moyens. À la rentrée 1943, elle compte 2300 étudiants.

Très tôt, de premiers résistants se regroupent de manière informelle avant de se constituer en réseaux, avec des formes d’action très variées. Ainsi, les « Gergoviotes », groupe d’étudiants strasbourgeois qui se livrent à des fouilles archéologiques sur le plateau de Gergovie dès juillet 1940, ne sont pas simplement des amateurs d’histoire. Encouragés par le général de Lattre de Tassigny qui voit en eux les cadres futurs d’un relèvement de la France, le camp de garçons et de filles décidés à ne pas renoncer à leur liberté prend rapidement conscience de la nécessité d'affirmer son esprit de résistance.

En 1941, les premiers mouvements de Résistance, mêlant étudiants et professeurs venant de Strasbourg et de Clermont-Ferrand, s’organisent, avec notamment le groupe Combat Étudiant. L’Université devient alors un foyer de résistance important, surveillé par les forces allemandes.


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Groupe d’étudiants et d’enseignants à l’occasion de leur soutenance de thèse (1941 ?). Arch. dép. Puy-de-Dôme, cliché Léon Gendre, 590 Fi 447


Le déroulé des événements (908 W 614, feuillet 4)

Le matin du 25 novembre 1943, à 10h40, des officiers de la Gestapo en civil, accompagnés d’environ 200 soldats de la Luftwaffe « armés de fusils et mitraillettes » encerclent le bâtiment occupé par l'Université de Strasbourg, avenue Carnot. Pour les Allemands, l’objectif est la disparition de l’Université de Strasbourg, identifiée comme une provocation et un foyer de rébellion. Plusieurs arrestations de membres de l’Université, et en particulier celle de Georges Mathieu, étudiant et résistant passé au service de la Gestapo, ont permis aux autorités allemandes de recueillir des informations et de mettre en place une opération quasi-militaire minutieusement préparée. Leur action vise à arrêter l’ensemble des étudiants juifs, étrangers et alsaciens-lorrains, ainsi qu’une dizaine de personnes dont les liens avec la Résistance sont établis : il s’agit des quatorze noms qui figurent sur la première feuille du document (dans son interrogatoire, Mathieu en cite quant à lui dix-sept).On y retrouve étudiants, professeurs et membres du personnel administratif.

 


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Rapport d'enquête du service des crimes de guerre, décrivant les évènements du 25 novembre 1943 (29 juin 1946). Arch. dép. Puy-de-Dôme, 908 W 614

L’auteur raconte le déroulé de la journée, qui correspond avec les informations apportées par les documents officiels. Les soldats s’arrêtent d’abord au secrétariat dans l’espoir d’y trouver les adresses personnelles des individus recherchés. Monsieur Danjon, doyen de la faculté des Sciences, s’y trouve avec Paul Collomb, professeur à la faculté de Lettres, qui est abattu : « Le policier leur cria de lever les mains et de sortir (M. Danjon, les secrétaires, M.C.). Tous les 3 étaient dans le couloir lorsque le pol[icier] frappa M.C[ollomb] à la nuque, celui-ci esquissa un geste de défense, le policier se jeta devant lui et tira un coup de revolver à bout portant, M. C[ollomb] s’écroula en râlant ». Il évoque également l’arrestation brutale du professeur Eppel à son domicile.

Les soldats rassemblent étudiants et professeurs dans la cour intérieure de la faculté des Lettres : 1 500 personnes sont ainsi parquées, séparées en deux groupes selon leur appartenance à l’Université de Clermont ou à celle de Strasbourg. Après une première vérification des papiers d’identité par Mathieu, la plupart des Clermontois sont libérés. Dans la nuit du 25 au 26 novembre, de nouvelles vérifications ont lieu, menées par « Mathieu, en présence du chef de la police Allemande et de 4 insp[ecteurs] [qui] furent chargés de prendre note des identités ». Il est intéressant de noter qu’aucun nom des membres des forces de police n’est cité, hormis celui de Georges Mathieu. On sait par ailleurs qu’il était assisté d’Ursula Brandt et de policiers français pour ces interrogatoires.

Suit la liste de 6 personnes incarcérées à la prison militaire, 44 étudiants et 14 professeurs et membres du personnel administratif sont emmenés dans les locaux du 92e régiment d’infanterie de Clermont-Ferrand alors utilisés par l’armée allemande.

Les vérifications d’identité ont lieu pendant plusieurs jours, et les personnes écartées sont progressivement libérées. Les autres sont détenues plusieurs semaines avant d’être transférées, via Compiègne, dans les camps de concentration. « Le d[imanche] 28 nov[embre], il restait 35 femmes et 59 h[ommes]. Actuellement (le 21 déc[embre].) il reste env. 85 pers. ». Au total, seule une trentaine de personnes survivront à la déportation.

La rafle a fait plusieurs morts. Durant l'opération, outre le professeur Paul Collomb, un jeune homme blessé par balle est achevé sur un banc près de la faculté de Droit. Le jeune Louis Blanchet, âgé de 15 ans, est quant à lui abattu d’une rafale de mitraillette en pleine rue, avenue Vercingétorix, pour s’être soi-disant moqué d’un soldat. Dans la mesure où il n’existe pas de liste officielle des personnes arrêtées ce jour-là, ce document est une source d’information importante sur les personnels de l’Université arrêtés (les noms des étudiants ne sont par contre pas cités).

La Gestapo ne quittera les locaux de l’Université que le 1er décembre. Les cours reprennent le 13 mai, mais beaucoup d’étudiants n’osent plus revenir.

La rafle du 25 novembre est la plus importante qu’ait eu à subir une université durant la Seconde Guerre mondiale et reste un symbole de la résistance intellectuelle face au nazisme.


Témoignage anonyme de la rafle de l’Université de Strasbourg du 25 novembre 1943 (21 décembre 1943).

Arch. dép. Puy-de-Dôme, 1 J 2954




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